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Vers un enterrement de l'obligation de rénovation globale des bâtiments ?

Dans un rapport publié fin novembre, le Haut conseil pour le climat alertait le gouvernement sur le retard de la France en matière de rénovation énergétique des bâtiments par rapport à ses homologues européens. Face à ce constat, il défendait notamment l’obligation de rénovation globale proposée par la Convention citoyenne pour le climat. Mais le Président de la République a écarté, pour le moment, cette mesure dans le futur projet de loi, en ouvrant la piste au tiers-financement.
Publié le
, mis à jour le
1 mai 2024
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Réhabilitation
Réhabilitation de la Résidence Lemasson à Montpellier (34). Architecte : N. Lebunetel Architectes-Urbanistes
(source : archicontemporaine.org / © N.Lebunetel)

Le Président de la République s’est entretenu, lundi 14 décembre, avec les membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) au Conseil économique, social et environnemental, après avoir promis en juin que leurs propositions seraient reprises « sans filtre ». Pourtant, alors que les derniers développements relatifs au projet de loi climat étaient censés reprendre les propositions de la CCC pour chaque chapitre (Se loger ; Consommer ; Produire ; Travailler ; Se nourrir et Se déplacer), il est revenu sur plusieurs d’entre elles ; au profit de mesures symboliques n’ayant probablement pas l’effet escompté en termes de baisse de gaz à effet de serre (atteindre une baisse d'au moins 40% d'ici 2030). 

Concernant le logement, le Président a déclaré ne pas avoir « fini les travaux » pour pouvoir prendre une décision finale sur la rénovation énergétique des bâtiments.  Si les membres de la CCC réclament une obligation de rénovation globale d’ici 2040, en donnant la priorité aux passoires énergétiques (classées F et G au titre du diagnostic de performance énergétique), le Président ne semble pas vouloir aller dans ce sens, du moins pour l’instant. En effet, selon lui, rendre la rénovation obligatoire ferait « porter la contrainte sur chaque ménage », notamment lors de la vente d’un logement. En revanche, il a repris l’idée d’un guichet unique, correspondant aux services d’accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare), ainsi que l’idée d’interdiction à la location des passoires thermiques d’ici 2028, mais en faisant « peser sur les bailleurs des conditions pour qu’ils puissent continuer à louer ».

Plutôt que des mesures coercitives – l’instauration d’une obligation de travaux pour les propriétaires bailleurs au moment des mutations ou d’un système de malus sur la taxe foncières – il propose de faire appel à des tiers-financeurs, tels que la Caisse des dépôts, les réseaux bancaires et d’assurances, les acteurs de l’énergie. Pour parvenir à un accord permettant à ces acteurs de participer à la rénovation globale des passoires thermiques d’ici 2030, il annonce qu’un travail sera lancé début 2021. Toutefois, sans solution « innovante » trouvée dans les trois mois, il s’engage à instaurer une clause de revoyure avec la CCC. « On vous doit un retour », a-t-il conclu. Mais la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a d’ores et déjà reconnu que cette idée de tiers-financeur était dans les cartons depuis "vingt ans", espérant néanmoins qu’une solution puisse enfin être trouvée.

Par ailleurs, des ONG (Greenpeace, WWF, et autres associations du Réseau Action Climat) ont dénoncé le manque d’ambition du futur projet de loi et les nombreux renoncements du gouvernement sur des propositions phares de la CCC, telles que la fin de vente des véhicules les plus polluants ou l’interdiction des publicités pour les produits fortement émetteurs de gaz à effet de serre.

Des arbitrages sont encore attendus sur la rénovation énergétique des bâtiments, mais ce sont des mesures moins contraignantes que l’obligation de rénovation globale d’ici 2040 qui semblent se profiler. Pour Nicolas Mace, chargé de campagne énergie pour Greenpeace France, « si ce renoncement se confirme et que le gouvernement retoque l’obligation de rénovation globale, il perdra une occasion majeure d’avancer sur le climat et la justice sociale en faisant baisser les émissions de CO2 en même temps que la facture des Français·ses les plus précaires ».

Ces nouvelles annonces gouvernementales interviennent après une séquence diplomatique et la publication de rapports, qui ont pourtant mis en évidence le retard grandissant de la France dans sa politique climatique, notamment concernant le chantier de la rénovation énergétique.
En particulier, dans un rapport publié le 24 novembre, le Haut Conseil pour le Climat (HCC) appelait à une « rénovation globale et performante » des bâtiments, en pointant le retard de la France en matière de rénovation énergétique des bâtiments par rapport à ses homologues européens. A ce titre, il défendait notamment l’obligation de rénovation globale des bâtiments proposée par la Convention citoyenne pour le climat. Parmi les autres recommandations : « massifier » la rénovation, concentrer les aides sur les actions en profondeur, les conditionner à l’atteinte d’un niveau de performance… 

Selon le Haut Conseil pour le Climat, les logements français parmi les plus « énergivores » de l’Union Européenne

A la demande du gouvernement, le HCC a mené une analyse comparative de l’action de la France pour le climat par rapport à celle d’autres pays européens. Cette analyse a porté en priorité sur les politiques et mesures en matière de rénovation énergétique des bâtiments, en comparant le modèle français par rapport à quatre pays : Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas et Suède.
Dans son rapport « Rénover mieux : leçons d’Europe », remis à la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, le HCC souligne d’abord les lacunes des politiques mises en place en France en matière de rénovation énergétique des bâtiments.

Selon le HCC, la France a accumulé un « retard important » en ce qui concerne la décarbonation du secteur du bâtiment. Avec 18% des émissions en 2017 (28% en ajoutant la production de la chaleur et de l’électricité) et 40% de l’énergie finale consommée, le bâtiment est l’un des quatre secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre en France. Or, ce secteur "doit être complètement décarboné pour que la France atteigne son objectif de neutralité carbone en 2050", a souligné Corinne Le Quéré, présidente du HCC en présentant le document. Si les émissions ont baissé de 2,2% par an depuis 2015, il aurait fallu atteindre une diminution de l’ordre de 5% par an, soit deux fois plus, est-il précisé dans le rapport. 
Plus spécifiquement, concernant le secteur résidentiel (58% des émissions du secteur du bâtiment), la France apparaît comme ayant « les logements les plus énergivores » par rapport aux quatre pays européens étudiés. En effet, les logements français se révèlent relativement plus carbonés (18,6kgCO2/m² en 2017, à climat européen moyen) que la moyenne des logements de l’UE (16,1kgCO2/m²) ; et 2 fois plus que ceux suédois (9,8kgCO2/m²).

Pour les experts, le rythme et la profondeur des rénovations en France ne sont pas suffisants pour atteindre les objectifs de neutralité carbone. Pour expliquer ce retard, ils identifient de nombreux blocages liés à la rénovation énergétique, notamment « des politiques et mesures inadaptées aux besoins de rénovation profonde ». Ils insistent également sur « la faible capacité de financement des ménages », « le manque d’incitation et d’accompagnement dans le résidentiel et le tertiaire » mais aussi « le manque de maîtrise des solutions techniques », entre autres.
A l’inverse, ils soulignent l’exemplarité de la Suède pour avoir réussi une décarbonation quasi-complète du secteur du bâtiment. Le modèle suédois démontre que le succès d’une stratégie de rénovation repose sur « trois piliers techniques », ayant trait à l’efficacité énergétique des bâtiments et la décarbonation de l’énergie. En effet, leur parc est l’un des plus économes en énergie, grâce à « des normes d’isolation importantes pour le neuf » depuis les années 1970, un « développement massif » des réseaux de chaleur urbains (37% de l’énergie finale consommée) et des solutions en énergie primaire décarbonées.

Encourager la « rénovation globale » pour accélérer la rénovation énergétique performante

Dans ce rapport, le HCC plaide d’abord pour une « massification » des logements, des bâtiments publics et tertiaires. Pour y parvenir, les experts préconisent des investissements plus importants et une refonte du système d’aides. Ils demandent notamment que l’investissement annuel public privé (environ 13 milliards d’euros actuellement) soit « multiplié au moins par deux en quelques années », et les dispositifs de soutien public (environ 4 milliards d’euros), « devront être quadruplés ». 
Par ailleurs, pour la présidente du HCC, si le plan de relance « va dans le bons sens », une stratégie « à long terme » est nécessaire pour répondre au défi de la performance énergétique des bâtiments.
Néanmoins, le HCC s’interroge sur l’efficacité de ces investissements, en remettant en cause notamment la logique de rénovation « par gestes » qui prédomine. Comme l’indique le rapport, ces actes isolés de rénovation, comme le changement d’une chaudière ou l’isolation d’un toit, « ne permettent pas de gains énergétiques majeurs ». Alors que les émissions diminuent trop lentement, le taux de rénovations globales et performantes en France stagne (0,2% par an en moyenne). Pour ces experts, il devra être multiplié par 5 d’ici 2022 et par 10 d’ici 2030, pour atteindre l’objectif minimal de 700 000 rénovations complètes prévu dans la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC).   

Vers une rénovation énergétique obligatoire d’ici 2040 ?

Pour améliorer la performance de la rénovation énergétique en France, le HCC formule une trentaine de recommandations au gouvernement, en s’inspirant des expériences étrangères et expérimentations déjà en place dans les territoires.

Parmi les pistes concrètes avancées, favorisant une logique de rénovation globale, le HCC recommande notamment de :  

  • Mettre en œuvre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat : rendre obligatoire la rénovation globale d’ici à 2040 et soutenir les ménages modestes ;
  • Réduire le seuil de « décence énergétique » des logements, notamment pour interdire à la location les « passoires thermiques » et obliger leurs propriétaires à réaliser des travaux d’ici à 2028, etc.
  • Conditionner les aides à l’atteinte d’un niveau de performance exigeant, et en ce sens « supprimer d’ici 3 ans des aides aux gestes individuels pour MaPrimeRenov’ et les CEE » ;  
  • Rénover les bâtiments publics, en définissant par exemple des « feuilles de routes par branches » pour ce parc (Enseignement/Santé/Culture) (comme aux Pays-Bas)
  • Supprimer le taux TVA réduit à 5,5% sur la rénovation à efficacité contestée, afin de « réaffecter les crédits alloués au rehaussement du taux de subvention à la rénovation BBC » ;
  • Augmenter le montant et la durée de l’éco-PTZ (en s’inspirant de l’exemple allemand : jusqu’à 120 000€ sur 30 ans, contre 30 000€ sur 15 ans en France. Or une rénovation globale, au niveau BBC, coûterait en moyenne 70 000€) ;
  • Intégrer plus fortement l’usage des énergies bas-carbone, comme la chaleur renouvelable (en s’inspirant de l’exemple suédois : développer les réseaux de chauffage en milieu urbain et périurbain, encourager aussi les ménages individuels à s’équiper de modes de chauffage plus vertueux, etc.)

Pour en savoir plus :

>> Lire le communiqué de presse et le rapport complet "Rénover mieux : leçons d'Europe"  (92p).

 

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