Pour une Ville – vraiment ! – intelligente : la suite

Par Denis DESSUS, président du Conseil national de l'Ordre des architectes - La promotion des smart cities et smart grids est le fait de grands groupes, avec une stratégie basée sur l’utilisation de vecteurs bien-pensants qui sont l’utilisation rationnelle des ressources et l’économie circulaire. Quand on connait l’appétence des gouvernements nationaux ou territoriaux pour ce qui brille et fait moderne, c’est une approche pseudo vertueuse qui est efficace !
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(Pixabay License)
Smartcity

(Cet article faite suite à Pour une Ville – vraiment ! – intelligente. Texte publié initialement dans le cadre des Universités d'été de l'architecture)

La promotion des smart cities et smart grids est le fait de grands groupes, avec une stratégie basée sur l’utilisation de vecteurs bien-pensants qui sont l’utilisation rationnelle des ressources et l’économie circulaire. Quand on connait l’appétence des gouvernements nationaux ou territoriaux pour ce qui brille et fait moderne, c’est une approche pseudo vertueuse qui est efficace !

Il faut donc commencer par enlever le verbiage politico philosophique promotionnel pour en voir les vrais enjeux.

Nous constatons une tentative accélérée des acteurs privés de pénétrer et/ou de créer la structure neuronale de la ville, d’innerver de plus en plus profondément son fonctionnement et d’en devenir un organe vital.

Ce n’est bien évidemment pas par philanthropie, que, sous couvert de bonne gestion intelligente grâce au numériques et aux algorithmes, les CISCO and co font main basse sur des marchés croissants basés sur le comportement et les besoins de milliards d’individus.

La révolution numérique va bien évidemment bouleverser la gouvernance et les acteurs de la gestion de la ville, et accélérer les mutations. Cela ne relève pas du fantasme, les mégalopoles asiatiques, et leur capitalisme débridé, deviennent les exemples de cette transformation. La révolution numérique accélérée que nous observons actuellement à Shenzen ou Shanghai se traduit d’ailleurs plus par un bouleversement de la sociologie, des modes de vie et du tissu économique  que par une gestion urbaine verte et rationnelle.

En contractualisant dans des secteurs clefs et à forte complexité technologique et logicielle, les multinationales imposent aux collectivités des contrats longs qui vont devenir quasi définitifs, car tout retour en arrière et changement d’opérateur entraînerait des dysfonctionnements majeurs. Est-ce que cette privatisation va se traduire par un moindre coût pour l’usager du service public, puisque cela devrait être la conséquence concrète de la gestion optimisée de nos smart cities ? La gestion privée de l’eau et de l’assainissement dans nos villes françaises est l’illustration que céder à une entreprise privée, dont le moteur est le profit, un service captif, ne peut se traduire que par une flambée du coût du service.

Nous avons là l’escroquerie intellectuelle fondamentale des théories de Jeremy Rifkin, qui « oublie » que nous sommes dans une économie de marché dont le moteur est le profit, et non le bien commun. A quoi sert le système Rifkin si ce n’est à engraisser les opérateurs privés qui amènent le logiciel de l’économie circulaire ?

Carlos Moreno, dans Smart city : essai de définition, affirme : « l’intelligence urbaine naît de la capacité du citoyen à avoir une intelligence sociale. Il ne peut donc y avoir de ville intelligente sans intelligence citoyenne ». Cela relève également de la formule, même si le discours va dans le sens éthique et social que nous affectionnons. Alors, comment faire pour que cette troisième révolution industrielle se fasse dans l’intérêt collectif et non dans l’intérêt des grands groupes ? Pour ne pas donner les clefs de la ville à des puissances économiques qui vont pressurer l’individu-consommateur comme un citron, évacuer dans des banlieues sordides les consommateurs à faible profit potentiel ? Comment éviter des univers dickiens où il faut payer chaque jour son conapt et son frigo ? Même si la ville durable est un oxymore, elle ne doit pas être une ville dont les services publics seraient livrés en pâture au marché et vendue à la découpe aux grands acteurs privés ensembliers.

En fait la ville s’autoproduit, poussée par les forces économiques et politiques qui en génèrent l’évolution. Pour produire une ville douce et intelligente, il faut que notre société soit également douce et respectueuse de ses habitants.

Cela nécessite une compétence des gouvernances au niveau des enjeux, une mise en concurrence aboutissant à une contractualisation réversible des contrats clefs, la maîtrise et le contrôle dans le temps long par la collectivité des savoirs mis en œuvre.

Pour cela il est nécessaire d’associer sociologues, écologistes et économistes, et en premier lieu, architectes et urbanistes aux réflexions, programmes de développement et transformation urbaine, ainsi qu’aux cahiers des charges des consultations. Ils sont absents, ou marginalisés en caution intellectuelle, ce qui est symptomatique, dans tous les congrès sur les smart cities et smart grids.

Ne faudrait-il pas également remettre en question le mythe de la croissance urbaine illimitée ? Est-ce vraiment là que se situe notre futur idéalisé, et la seule vision à offrir ? Cette interconnexion universelle offre des potentialités pour réinventer la vie et l’activité dans les campagnes, et permettre de profiter de toutes les potentialités des territoires ruraux.

Nous ne sommes pas des freins réactionnaires et passéistes, nous souhaitons seulement que la « troisième révolution industrielle » permette le développement des savoirs et de la culture, de l’intelligence partagée, au bénéfice de tous.

Denis DESSUS, 
Président du Conseil national de l’Ordre des architectes

 

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Urbanisme | Ville | Numérique

Publié le 28.09.2020 - Modifié le 07.10.2020