Pour une Ville – vraiment ! – intelligente

Par Christine LECONTE, présidente du Conseil régional de l’Ordre des Architectes d’Ile-de-France (CROAIF) - Depuis la fin des années 2000, la smart city a envahi l’espace médiatique, aux côtés des autres smartphones et smartgrids (réseaux intelligents). Alors que les villes sont les principales responsables des émissions de gaz à effet de serre, les solutions smart cities – à commencer par l’optimisation des réseaux – sont souvent présentées comme une réponse globale aux défis climatiques. Ce succès est nourri par la production d’images de futurs (fantasmes) urbains, qui suscitent intérêt et fascination chez les décideurs.
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Smartcity

Depuis la fin des années 2000, la smart city a envahi l’espace médiatique, aux côtés des autres smartphones et smartgrids (réseaux intelligents). Alors que les villes sont les principales responsables des émissions de gaz à effet de serre, les solutions smart cities – à commencer par l’optimisation des réseaux – sont souvent présentées comme une réponse globale aux défis climatiques. Ce succès est nourri par la production d’images de futurs (fantasmes) urbains, qui suscitent intérêt et fascination chez les décideurs. En témoigne l’émergence à l’étranger de villes aux coûts pharaoniques comme Masdar City, construite ex-nihilo aux Emirats Arabes Unis, ou le quartier de Songdo en Corée du Sud.

La promotion du concept de smart city s’explique par l’arrivée de nouveaux ensembliers urbains. Dans la conquête de ce nouveau marché, les grands industriels de l’Energie sont particulièrement enthousiastes. Et pour cause : il devrait atteindre 23,4 milliards en 2023 ! Par la création de holding ad hoc, la fusion avec des acteurs déjà installés et la participation à de multiples colloques et tables-rondes, ils entendent montrer les atouts de ces Villes intelligentes… Et assoient progressivement leur « crédibilité » pour les produire.

Les solutions et outils proposés se situent donc dans une logique d’offre industrielle éloignée d’une réflexion sensible sur les besoins des territoires. Sur la base de données massivement collectées – les big data -, ces solutions optimisent nos besoins (un peu) et nos envies (beaucoup). En témoigne la myriade « d’innovations » qui apparaissent dans les espaces urbains : Uber, nouveaux services de livraison, voitures automatiques, etc. Le risque est grand de voir les citoyens transformés en consommateurs à l’existence réglée par des algorithmes sans cesse plus puissants.

La question de l’impact des stratégies smart cities sur le « bien commun » et les territoires se pose quand, dans le même temps, l’ensemble de la population n’a pas accès à l’essentiel : habiter dignement, se soigner, être éduqué, travailler. D’autres questions toutes aussi inquiétantes se posent : qui gère les milliards de données collectées chaque jour ? Comment mettre l’usage au cœur de l’aménagement de l’existant ? Comment mettre l’humain au cœur des stratégies de gestion numérique ?

Destinées aux métropoles denses, riches et productives, ces stratégies accroissent la fracture avec les territoires périurbains et ruraux. Au sein même des espaces urbains, la capacité à utiliser les différentes interfaces est très différemment distribuée selon les niveaux sociaux et générationnels. Conséquence : les Villes pourraient devenir le territoire d’une élite hyperconnectée, « hostile » envers certains usagers, comme l’illustre la série d’anticipation dystopique Trepalium. Alors même qu’elles doivent être le premier lieu public accessible à tous.

Phénomène intrinsèquement social, les villes puisent leurs richesses dans la diversité, la mixité, les espaces productifs, la multiplicité des services… Les stratégies smart cities devraient d’abord répondre aux enjeux collectifs existants : climat, habitat, mixité, égalité d’accès aux soins, à l’énergie, à l’eau potable… Le fait social dans son ancrage et sa diversité doit être au cœur de l’innovation comme de tout projet d’urbanisme. Les collectivités doivent créer des lieux de partage, responsabiliser les comportements, s’ouvrir à l’intelligence collective… Ne voit-on pas la richesse urbaine et sociale que des lieux comme Agrocité, le 6B, Darwin ou les Grands Voisins apportent aux quartiers dans lesquels ils se développent, et à l’espace urbain dans son ensemble ?

Nous, architectes, devons investir une pensée universitaire et industrielle des Villes intelligentes qui se construit trop souvent sans nous. Nous devons accompagner sans tarder le développement des smart cities pour garantir que l’intérêt général prime contre toutes les ségrégations socio-spatiales. Par nos savoir-faire, maîtrise de l’espace et synthèse des usages, mettons les technologies numériques globales au service d’un développement local qui s’appuie sur les ressources propres à chaque territoire. A nous d’ « urbaniser les technologies plutôt que d’utiliser des technologies qui désurbanisent la ville », pour reprendre les termes de la sociologue Saskia Sassen.

Oui au numérique au service d’une politique publique fondée sur l’amélioration de la vie quotidienne et la construction de projets avec les habitants, en partant de leurs besoins et de leurs demandes. Oui à la collecte de données dans l’intérêt de tous et au service de projets qui laissent toute leur place à l’esprit critique, l’interrogation et l’étonnement. Pour une Ville et des Territoires – vraiment ! – intelligents.

Christine LECONTE, présidente du Conseil régional de l’Ordre des Architectes d’Ile-de-France (CROAIF)

 

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Urbanisme | Ville | Numérique

Publié le 25.09.2020 - Modifié le 07.10.2020