"Le métier d'architecte est soumis à une concurrence ouverte et totale"

Interview de Denis DESSUS, Président du Conseil national Ordre des Architectes - "Chaque fois que nous prenons notre crayon, nous devons gérer 7 ou 8 000 normes et règlements" explique Denis Dessus. Refonte des CCAG, nouveaux seuils, rémunération des architectes et composition des jurys... Le Président du Conseil national de l'Ordre des architectes rappelle les contraintes et objectifs de la profession.
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(DR)
Métier d'architecte

Selon Denis Dessus, Président du Conseil national de l'Ordre, le métier d'architecte est, par essence, en évolution permanente. L'architecte doit faire preuve d'une forte capacité d'adaptation. Indispensable, dans un environnement normatif et législatif complexe, et au moment où les CCAG sont en phase de refonte…

Etes-vous impliqués dans la refonte des CCAG en cours ? Selon vous, quelles pourraient en être les pistes d’amélioration ?
Denis Dessus - Bien sûr, tout comme nous l’avions été en 2009 ! Les architectes gèrent les marchés des entreprises, ils sont directement concernés par le CCAG travaux et par le CCAG Prestations intellectuelles auxquels leurs propres marchés se référent.

Vous paraît-il opportun de créer un CCAG-Maîtrise d’œuvre ?
Denis Dessus - Oui ! C’était déjà notre demande en 2009. Les marchés travaux et maîtrise d’oeuvre sont étroitement liés. Il est donc indispensable que ce qui s’impose dans les CCAG Travaux soit cohérent avec les missions et le CCAG de la maîtrise d’oeuvre, qui doit veiller à la bonne exécution des marchés travaux.

Comment les CCAG doivent-ils appréhender la prestation intellectuelle dans les cas des marchés de maîtrise d’œuvre ?
Denis Dessus - C’est clair, il y a toutes les dispositions concernant la création et le droit d’auteur, pour lesquels  le CCAG PI est trop générique. Il prend peu en compte les spécificités techniques et artistiques de notre métier. Il faut également mettre en corrélation la gestion du chantier par la maîtrise d’oeuvre avec les obligations faites aux entreprises. 

Quel doit être le rôle de l’architecte dans la transition énergétique ?
Denis Dessus - Evidemment fondamental, l’architecte est le concepteur de notre habitat. C’est également lui qui engage sa responsabilité sur l’atteinte des objectifs environnementaux. La profession a été motrice de la réflexion sur la qualité environnementale et bâtie. Elle l’est toujours et doit stimuler les évolutions des réglementations.
Son rôle doit être étendu dans le champ de l’urbanisme et de la rénovation, sujets essentiels si l’on veut imaginer une société sobre, résiliente, capable de réduire et de s’adapter aux changements climatiques. Il faut également avancer sur les problématiques de santé publique liées à l’habitat, sujet dans lequel il est possible de faire beaucoup mieux. Nous avons créé une plate-forme de la transition écologique, fait paraitre un ouvrage de réflexion et pratique pour les maires sur le sujet de l’écologie et du projet urbain (NDLR : lire notre article " Maîtrise d’ouvrage : les architectes veulent aider les maires à réussir la transition écologique").

Quels sont vos conseils pour choisir les  architectes dans le jury de concours  ?
Denis Dessus - Un concours est efficace si le jury est choisi pour ses compétences et pour accompagner le maître d’ouvrage dans son choix. Il faut donc des jurés pertinents, et cela ne s’arrête pas au tiers d’architecte ! Les conseils régionaux ont à disposition des listes d’architectes compétents dans tous les domaines d’opération et formés aux marchés publics. La MIQCP (Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques) peut aider les acheteurs publics dans l’organisation du concours. Elle peut proposer également des architectes jurés 

Un équilibre est-il trouvé s’agissant de la place de l’architecte dans la pratique des contrats globaux ?
Denis Dessus - La loi LCAP a permis de définir une mission clairement identifiée pour la maîtrise d’oeuvre, sur la base des éléments de mission de la loi MOP. Nous travaillons également sur le principe du mandataire glissant, l’architecte en phase conception, l’entreprise pendant le chantier. Une solution qui nous est proposée par les maîtres d’ouvrage publics, notamment les bailleurs sociaux.
Enfin, nous avons mis au point avec tous les partenaires de la maîtrise d’œuvre, les assurances et des entreprises, une convention de cotraitance au sein du groupement qui va permettre de gérer les responsabilités au sein du groupement de contrat global.

La hausse du seuil à 40 000 € est-elle une bonne chose ?  Les jeunes cabinets seront-ils  gagnants ?
Denis Dessus - 40 000 €, cela correspond à des chantiers de 400 000 € environ. Cela fait une part non négligeable de la commande publique qui va se passer hors règles claires, même si le Code de la commande publique impose une traçabilité et une transparence des choix dès le premier euro. Ce seuil fluctue régulièrement, je ne vois pas en quoi cela devrait aider ou pénaliser un type d’entreprise d’architecture.

Quels sont les impacts de la dématérialisation de la commande publique pour les architectes ?
Denis Dessus - Aucun ! Il s’agit seulement d’une évolution de nos modes de travail qui sont, de toute façon, perpétuellement mouvants. Nous sommes habitués à évoluer en permanence, notamment en fonction du cadre entropique réglementaire et normatif. Chaque fois que nous prenons notre crayon, nous devons gérer 7 ou 8 000 normes et règlements !Cela nous oblige à une forte capacité d’adaptation.

Les architectes sont-ils bien équipés pour valider les facturations de travaux ?
Denis Dessus - Oui, ils l’ont toujours fait. Personne n’est plus à même qu’eux pour le faire. Chorus pro est une simplification.

Encore récemment, la question de la fixation des honoraires des architectes a fait débat (CF avis autorité de la concurrence). Quelle est votre position ?
Denis Dessus - Nous sommes un métier soumis à une concurrence ouverte et totale. Il y a effectivement un problème de rémunération de la maîtrise d’oeuvre en France. La part de l’architecture et de l’ingénierie est croissante en Europe, en raison de la complexité accrue de l’acte de concevoir et construire. Ce n’est pas le cas en France où, apparemment, beaucoup n’ont pas compris qu’ils feraient des économies et optimiseraient leurs bâtiments en confiant des missions à des équipes compétentes. Cela pose le problème des procédures de choix de la maîtrise d’oeuvre.
On devrait toujours faire le choix sur des critères de compétence, ou sur le projet grâce au concours, et éviter les appels d’offres totalement inadaptés à nos marchés. Nous publions, avec le Ministère de la culture, la MIQCP, la FNCAUE, un mini-guide de la commande publique d’architecture qui explique comment bien faire dans l’intérêt de l’acheteur public et des usagers.

 

Interview réalisée par Achatpublic.info et publiée le 03/01/2020


 

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Marchés publics | Commande Qualité architecturale | Concours | Chantier

Publié le 23.09.2020 - Modifié le 07.10.2020