Le concours de maîtrise d'œuvre à la Française

Par Christian ROMON, Secrétaire général de la MIQCP (Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques ) - La pratique du concours de maîtrise d'œuvre est particulièrement développée en France et présente des spécificités qui en font sa singularité sur la scène internationale.
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MIQCP
Couverture du Guide "Le concours de maîtrise d'œuvre" 2018

1. Les origines du concours à la Française

Un peu d'histoire tout d'abord. La loi n°77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture a déclaré dans son article premier que l'architecture est une expression de la culture et que la création architecturale et la qualité des constructions sont d'intérêt public. En accompagnement de cette loi il a été créé par décret n°77-1167 du 20 octobre 1977 une mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP) chargée de favoriser l'amélioration de la qualité de l'architecture des bâtiments édifiés pour le compte des collectivités publiques. Pendant ses premières années d'existence cette Mission a eu à cœur d'expérimenter diverses possibilités de sélection des concepteurs et conditions de la contractualisation de leur relation avec la maîtrise d'ouvrage. Par lettre du 27 avril 1982 le Premier ministre confiait à Jean Millier, Président de la MIQCP, une mission d'études et de propositions sur les finalités et les modalités de la réglementation concernant la commande publique d'ingénierie et d'architecture. Parmi les questions posées figurait celle des conditions à définir pour choisir les titulaires des marchés d'ingénierie et d'architecture. Dans son rapport au Premier ministre Jean Millier a proposé de " clarifier et préciser les modalités de choix du maître d'œuvre afin de rendre ce choix plus ouvert et plus loyal, d'indemniser correctement les concurrents à un concours qui ont remis des prestations et de réduire le nombre des concours en relevant très sensiblement le seuil au-delà duquel ils sont obligatoires.". Sur les obligations de la maîtrise d'ouvrage, le rapport proposait de rendre obligatoire l'élaboration d'un programme par la maîtrise d'ouvrage, préalable indispensable à l'instauration d'une compétition équitable, tout en admettant que " ce programme, suffisamment élaboré avant la compétition, pourrait ensuite généralement faire l'objet d'une mise au point finale avec le concours du maître d'œuvre et devrait être définitivement arrêté, au plus tard, en même temps que l'avant-projet sommaire.". Il proposait également de " définir la consistance d'un nouvel élément de mission " l'esquisse", étude au 1/500, permettant de mettre en compétition sur une prestation aussi légère que possible sans nuire à ce qui est indispensable pour choisir un projet et une équipe de maîtrise d'œuvre. ". Le rapport propose ainsi de confirmer le caractère obligatoire du concours pour les opérations neuves mais en relevant significativement le seuil au dessus duquel l'obligation s'applique, d'imposer dans les jurys de concours au moins un tiers de professionnels de la conception et de rendre obligatoire l'indemnisation des concurrents à au moins 80 % de la valeur des prestations demandées. Le rapport Millier paru à la Documentation Française en 1983 est consultable dans le fonds documentaire.

Les diverses propositions du rapport Millier ont constitué les fondements d'élaboration de la loi n°85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée MOP et de ses décrets d'application et ont conduit à préciser les règles applicables en matière de commande publique de maîtrise d'œuvre, tout particulièrement concernant les conditions d'organisation du concours de maîtrise d'œuvre à la Française. L'obligation d'indemniser les prestations demandées à hauteur d'au moins 80% de leur valeur a pour conséquence que la liste des candidats admis à présenter des prestations est très restreinte, le plus souvent limitée à trois candidats, portée parfois à quatre et ne dépassant jamais plus de cinq candidats.

2. Eléments de comparaison européens

La MIQCP a commandé en 2016 au laboratoire CRH-LAVUE (Véronique Biau et Merril Sinéus) une étude sur « Les pratiques du concours d’architecture en Europe ; zoom sur l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Suisse » (voir fonds documentaire).

L'étude confirme la prééminence Française en nombre de concours organisés : 3064 concours au cours d'une période des cinq années 2011 à 2015, contre 868 et 394 respectivement en Allemagne et en Suisse, les deux pays pratiquant le plus de concours en Europe après la France. La Pologne fait partie d’un groupe intermédiaire, avec l’Italie, l’Autriche et le Danemark, pays dans lesquels une centaine de concours ont eu lieu sur cette période de 5 ans. Ces statistiques confirment le très faible recours au concours dans l’ensemble des autres pays d’Europe : moins de 10 concours publics par an.

Réglementairement, les situations nationales sont diverses : l’Allemagne est depuis 2008 le seul pays avec la France à avoir instauré l’obligation du concours au-dessus des seuils pour les maîtres d’ouvrage publics. Dans les autres pays, où les marchés publics de maîtrise d’œuvre sont plus ou moins codifiés, le concours est considéré comme une procédure destinée avant tout à produire de la qualité. Le concours se situe alors sur le registre indicatif de la «bonne pratique».

Dans leur déroulement, les concours cristallisent les débats sur les mêmes points en France que dans les pays analysés : quelles exigences donner en phase de qualification, en termes de références construites, en termes de chiffre d’affaires de l’agence ; comment fixer les prestations raisonnablement et contenir les surenchères auxquelles se livreraient les candidats ; comment assurer l’indépendance, l’engagement et la compétence des jurés ; comment élaborer les critères de sélection dans leur diversité et leur hiérarchie ; quelle part donner aux riverains et citadins dans la délibération ; comment et à quel niveau rémunérer les participants, … Mais la plus grande des différences vient de la large pratique des concours ouverts à un ou plusieurs degrés, avec plusieurs centaines de candidats en première phase, souvent une trentaine en seconde phase. On a alors un premier degré dans lequel chaque concepteur intéressé peut fournir une prestation légère de type esquisse ; puis, avec un jury constant tout au long de la procédure, une première sélection et un approfondissement au niveau de l’avant-projet sommaire. Sont alors désignés quelques lauréats (entre 3 et 5 généralement) auxquels seront attribués des primes ou, pour le premier, une avance sur les honoraires à percevoir sur le contrat à venir. Etonnamment ce travail à perte n’est que peu critiqué par les praticiens. Il faut sans doute y voir, pour certains architectes, une forme de Recherche & Développement pour les agences, de prétexte à une réflexion un peu dégagée des contingences habituelles ou encore de moyen d’accès au débat, à la reconnaissance et à la commande publique pour les plus jeunes ou les plus petites des agences.

3. Les atouts du concours de maîtrise d’œuvre au service de la qualité architecturale

Sur commande conjointe de la MIQCP et de la direction de l'architecture du ministère de la culture, le laboratoire Espaces de travail LET-LAVUE (Elise Macaire et Jodelle Zetlaoui Léger) a effectué en 2017 une recherche portant sur l'analyse approfondie de dix ans de pratiques des concours d'architecture en France de 2006 à 2015. On trouvera dans le fonds documentaire une synthèse des enseignements de cette recherche parue en 2019 dans Les cahiers de la recherche architecturale, urbaine et paysagère.

Les acteurs mobilisés à l'occasion de l'organisation d'un concours de maîtrise d'œuvre mettent souvent en avant que les concours :

  • créent une émulation des équipes de maitrise d’œuvre, favorisent l’innovation et permettent le choix d’un projet par rapport à plusieurs propositions qui répondent au même programme,
  • ouvrent l'accession à la commande, y compris pour des équipes peu expérimentées mais talentueuses,
  • assurent, pour chaque compétition, la transparence et la crédibilité du processus de sélection du projet et de l’équipe de maitrise d’œuvre et ainsi légitiment et sécurisent les prises de décision des maîtres d’ouvrages publics,
  • permettent le débat sur la qualité architecturale au sein du jury en présence de professionnels qui aident à décrypter le projet et éclairent le maitre d’ouvrage dans ses choix, garantie supplémentaire de réussite pour l’opération,
  • autorisent, ultérieurement, l'enrichissement du projet dans les phases de conception, en tenant compte des observations du jury et du dialogue avec le maître d’ouvrage et les futurs usagers,
  • mobilisent une diversité d'acteurs et de l'attention autour d'un projet. Cette dynamique facilite l'adhésion locale et par voie de conséquence accélère les procédures de délivrance des autorisations administratives, tout particulièrement celle du permis de construire. Elle contribue à donner une certaine portée au projet qui peut constituer une référence pour de futures réalisations et favorise ainsi la diffusion du savoir, notamment dans le domaine du logement,
  • font progresser, lorsque la diffusion des résultats est correctement assurée par les maîtres d’ouvrage, le jugement porté sur l’architecture en tant qu’art destiné à des valeurs d’usage,
  • ont permis, surtout par la loi MOP sur laquelle ils s’appuient, une meilleure organisation de la maîtrise d’ouvrage dans la formulation de la commande. La réalisation d’études de programmation est devenue régulière pour la plupart des maitres d’ouvrages organisant un concours, ce qui n’était pas toujours le cas au moment où la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique a été promulguée.

L'étude précise cependant que ce panorama des atouts des concours ne doit pas néanmoins occulter les limites qui ont pu être identifiées depuis leur généralisation dans la commande publique d’architecture : coûts et délais jugés parfois trop importants par les maîtres d’ouvrage, difficulté pour les jeunes équipes d’arriver à accéder à la phase de sélection des candidats, risque de surenchère dans la demande par les maîtres d’ouvrage de production de prestations, prédominance de l’attrait des images à la faveur du développement des outils numériques, impossibilité de procéder à des échanges avec les équipes de conception pendant le jugement des projets en raison de l’obligation de l’anonymat.

4. Est-il possible de demander une esquisse dans une consultation de maîtrise d'œuvre sans organiser un concours ?

Comme rappelé en partie 1 l'esquisse a été imaginée en 1983 par Jean Millier pour constituer l'élément de réponse approprié pour la remise de prestations en concours : Suffisamment élaborée pour engager la responsabilité du maître d'œuvre sur la réponse conceptuelle proposée, mais en même temps suffisamment ouverte pour permettre ultérieurement la finalisation du programme et l'intégration de démarches associant les utilisateurs ou les usagers. Certains maîtres d'ouvrage souhaiteraient bénéficier de cette possibilité de choisir une équipe de maîtrise d'œuvre sur la base d'un début de conception mais sans pour autant aller jusqu'à l'organisation d'un concours jugé par eux trop chronophage et coûteux. Certains avocats ont estimé que les textes n'interdisaient pas d'envisager une telle pratique. La MIQCP ne partage pas ce point de vue. On pourra consulter dans le fonds documentaire un article publié par le Secrétaire général de la MIQCP expliquant pourquoi il n'est pas autorisé de demander une esquisse dans une consultation de maîtrise d'œuvre en dehors du cas du concours. D'un côté, en dehors de dispositions législatives spéciales, il n'est pas permis de démarrer l'exécution d'un contrat public avant sa signature, ce qui serait indéniablement le cas d'une consultation ordinaire telle qu'un marché négocié avec fourniture d'esquisse imposée aux concurrents. Par ailleurs, les règles que doivent respecter les maîtres d'ouvrage publics pour l'organisation d'un concours (jury composé d'au moins un tiers de professionnels du domaine de la maîtrise d'œuvre afin de garantir l'impartialité et la pertinence de l'évaluation par le jury des projets présentés, indemnisation conséquente des auteurs des projets) constituent des garanties d'équité et d'égalité dans l'accès à la commande. Le juge sanctionne systématiquement les pratiques qui s'inspirent de dispositions réglementées sans en respecter le cadre et les contraintes par un motif classique de détournement de procédure avec en conséquence la requalification pour faire respecter toutes les obligations du droit.


 

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Marchés publics | Commande Qualité architecturale | Concours | Chantier

Publié le 23.09.2020 - Modifié le 15.10.2020