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Près de 15 millions de personnes fragilisées par la crise du logement

Dans son 27ème rapport sur le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre s’inquiète de « la crise du logement qui continue de fracturer en profondeur notre société », en dressant un bilan relativement sévère de la politique menée en la matière au cours du quinquennat. Elle interpelle désormais les candidats à l’élection présidentielle de 2022 afin de remettre le logement au cœur des débats. Le CNOA salue les propositions de la fondation visant en particulier à éradiquer les passoires énergétiques et lutter contre l’habitat indigne. Mais « il va falloir aussi énormément rénover et mobiliser les logements vacants », a notamment déclaré Christine Leconte.
Publié le
, mis à jour le
1 mai 2024
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27ème rapport de la Fondation Abbé Pierre
(DR / FAP)

Selon la Fondation Abbé Pierre, « le logement n’a jamais été une priorité de l’exécutif au cours de ce mandat, alors qu’il constitue un déterminant majeur de l’équilibre budgétaire des ménages »

Le 27ème rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre sur l’Etat du mal-logement en France, publié mercredi 2 février, dresse un bilan préoccupant du quinquennat écoulé au regard des choix politiques pour lutter contre le mal-logement et la pauvreté, qui s’achève loin « du choc de l’offre » de logements promis en 2017 par Emmanuel Macron.

Malgré certaines avancées dans un contexte de crise sanitaire pour soutenir les ménages modestes, créer de nouvelles places d’hébergement d’urgence ou encore soutenir les aides à la rénovation énergétique, la fondation regrette que « les plus pauvres restent les oubliés de ce quinquennat ». Selon ses calculs, « près de 15 milliards d’euros ont été retirés en cinq ans aux ménages modestes », et la part des dépenses publiques pour le logement a reculé de 1,82% du PIB en 2017, à 1,63% en 2020. « Depuis 1984, l’effort public pour le logement n’a jamais été aussi faible », dévoile ainsi le rapport.

La Fondation s’inquiète en particulier de la réduction du nombre de logements sociaux disponibles (80 000 attributions de moins dans le parc HLM en 2020) et de « la chute de la construction, qui n’a jamais été aussi basse depuis 15 ans ». Malgré une hausse de la demande (2,2 millions de ménages demandeurs HLM en attente de logements), le nombre de nouvelles constructions a reculé en effet dans le parc social, au détriment en particulier des plus jeunes (30 000 logements étudiants construits sur les 60 000 annoncés).

Tous secteurs confondus, « la production du logement s’est affaissée », alors que « les prix du logement se sont accrus drastiquement », résume ainsi le rapport. Les mesures adoptées depuis le début du quinquennat, comme la loi ELAN en 2018, en simplifiant les normes et les procédures, n’a pas significativement permis d’améliorer la situation du logement, estime la fondation. Au-delà des conséquences dues à la crise sanitaire, d’autres mesures prises par ailleurs par le gouvernement auraient eu des effets fortement négatifs, à l’instar des « coupes budgétaires inédites » dans la politique du logement social : la réduction des APL, les ponctions exercées sur les organismes HLM, ou encore la suppression des aides aux maires bâtisseurs et à l’accession à la propriété. Le prix des logements anciens a augmenté par exemple de « 23% en moyenne en France entre le début du quinquennat et le 3ème trimestre 2021 », selon l’Insee.

"La pénurie de logements dans les zones tendues a donc perduré, voire s'est accrue, se traduisant par des prix à l'achat et à la location insoutenables pour les classes populaires et moyennes." Mais le gouvernement a conduit « une politique « très timide » en matière d’encadrement des loyers », et plus largement pour encadrer les marchés immobiliers et réduire les inégalités territoriales. Outre des loyers excessifs, les politiques publiques n’ont pas régulé suffisamment le marché locatif, alors que la progression des locations touristiques de courte durée de type Airbnb a accentué la pénurie de logements et la hausse des prix. Sur les 550 communes ne respectant pas le critère de 20 ou 25% de logements sociaux (article 55 de la loi SRU), la moitié d’entre elles n’ont pas été sanctionnées par l’Etat.

« La crise du logement continue de fracturer en profondeur notre société »

Concernant l’amélioration de l’habitat indigne, le bilan de la fondation est mitigé. Si elle souligne l’instauration de MaPrimeRénov’, elle la juge insuffisante pour mener « à des travaux ambitieux et donc plus coûteux ». Le reste à charge pour les particuliers demeure « important » après mobilisation de toutes les aides, en moyenne 39% du montant des travaux pour les ménages « très modestes », et 56% pour les ménages « modestes ». Les dispositifs d’aides se limitent « trop souvent à de simples gestes de rénovation, peu efficaces […] au détriment de la performance d’une rénovations globale », estime la Fondation. Pour elle, la rénovation des passoires thermiques devrait plutôt faire l’objet d’une priorité nationale.

Dans ce contexte de hausse des prix et de pénurie du logement social, les auteurs redoutent désormais « une crise qui vient », qui frapperait davantage les populations déjà fragilisées par les conséquences sociales de la crise sanitaire, les jeunes en première ligne, ainsi que les habitants des quartiers populaires et les personnes exilées.

Les chiffres

Selon les estimations de la Fondation Abbé Pierre, le mal-logement ne diminue pas en France, avec des chiffres qui montrent surtout une dégradation de la situation.

En 2021, 4,1 millions de personnes souffrent de mal-logement ou sont privées de logement personnel, parmi lesquelles :

  • Au moins 300 000 personnes sont sans domicile fixe, un chiffre qui a doublé depuis 2012, et triplé depuis 2001.
  • 2,8 millions vivent dans des conditions de logements difficiles du point de vue du confort :
    - 934 000 personnes souffrent de surpeuplement dit « accentué », autrement dit il leur manque deux pièces par rapport à la norme de peuplement ;
    - 31 000 travailleurs migrants résident dans des foyers en attente de rénovation, vivant « dans des conditions de vétusté parfois dramatiques », comme c’est le cas aussi pour 208 000 personnes en habitat mobile.

Outre ces situations les plus graves, 12,1 millions de personnes sont fragilisées à des degrés divers par la crise du logement :

  • 1,2 millions de locataires sont en situation d’impayés de loyer du fait de l’explosion du coût du logement, s’exposant ainsi à une procédure d’expulsion locative ;
  • 1,1 millions de propriétaires occupants vivent dans des copropriétés en difficultés (mauvais fonctionnement, impayés de charges nombreux et/ou importants, absence de travaux d’entretien)
  • 12 millions de personnes souffrent de précarité énergétique, d’abord les plus modestes, et 5,7 millions de personnes subissent un effort financier excessif pour payer des loyers insoutenables : elles consacrent plus de 35% de leurs revenus à leurs dépenses de logements, ne leur laissant pour vivre qu’un revenu inférieur à 65% du seuil de pauvreté (650€ par mois par personne).

Au total, sans les doubles comptes, ce sont 14,6 millions de personnes qui sont affectées par la crise du logement, de manière plus ou moins forte, mais avec toujours des répercussions sur leurs conditions de vie, leur environnement quotidien, leur santé, leur confort, leurs fins de mois, etc.

La fondation interpelle les candidats aux élections présidentielle et législatives

En accusant les responsables politiques de ne pas « réellement prendre en compte l’ampleur de cette crise », la Fondation Abbé Pierre a présenté ses principales propositions pour l’élection présidentielle et les élections législatives 2022.

Elle plaide en particulier pour une relance du Logement d’abord et du logement social, pour l’encadrement des loyers, pour des rénovations globales et l’éradication des passoires énergétiques, pour un choc de redistribution des richesses, et pour la création d’une agence nationale des travaux d’office pour résorber l’habitat indigne.

Les propositions clés de la Fondation

  1. Généraliser le plan « Logement d’abord » pour viser l’objectif « zéro personne sans domicile » d’ici 5 à 6 ans, faire respecter le quota de 25 % d’attributions HLM aux ménages prioritaires, revaloriser les APL, augmenter les minima sociaux, etc.
  2. Produire 150 000 logements vraiment sociaux par an pendant 10 ans, dont 15 000 en Outre-Mer, subventionner 1 milliard d’euros d’aides à la pierre, diminuer la TVA sur les PLUS, conventionner 40 000 logements par an dans le parc privé, etc.
  3. Encadrer les marchés immobiliers pour faire baisser les prix : généraliser l’encadrement des loyers à l’ensemble des 1000 communes en zones tendues (contre une vingtaine actuellement) et sanctionner les débordements, diminuer de 10 % le loyer des nouveaux contrats de location des logements "F et G", encadrer le marché des locations saisonnières, favoriser le foncier solidaire en massifiant les baux réels solidaires (BRS), etc.
  4. Eradiquer les passoires énergétiques en 10 ans : doubler les aides publiques à la rénovation et les faire évoluer « pour rendre prioritaire la réalisation de travaux complets et performants », développer des dispositifs financiers (eco PTZ, prêt avance-rénovation, etc.), créer un guichet unique « Accompagnateur rénov’ » et renforcer l’accompagnement indépendant et complet des ménages (gratuit pour les plus pauvres), créer un « service minimum d’électricité » pour mettre fin aux coupures dans les résidences principales, doubler le montant du chèque-énergie, etc.
  5. Créer une « Agence nationale des travaux d’office » pour traiter les 600 000 logements indignes. Cette agence permettrait d’apporter « un soutien aux collectivités et avoir un effet incitatif fort auprès des propriétaires récalcitrants », en mutualisant les compétences (juridiques, techniques, etc.).
  6. « Déclencher un choc de redistribution », en instaurant notamment une taxe « Tobin sur l’immobilier de luxe », et en taxant davantage la succession et les donations pour mieux lutter contre les inégalités, etc. 

La Fondation chiffre le coût de ces mesures à 10 milliards d’euros supplémentaires par an, ce qui reviendrait selon elle à revenir à la situation de 2012, quand l’Etat consacrait 2% du PIB à sa politique logement (contre 1,63% en 2020).

« À travers ces propositions, la Fondation Abbé Pierre appelle à la mobilisation générale pour faire face à la politique du logement. Cette mobilisation nécessite de nouvelles politiques de la part de l’Etat, mais aussi une implication sans faille des collectivités locales. La Fondation Abbé Pierre appelle les candidates et candidats aux élections présidentielle et législatives à s’emparer de ces thèmes pour ne pas se résigner à voir s’accentuer la crise du logement et les fractures qu’elle creuse dans notre société. » Fondation Abbé Pierre


>> Télécharger le 27e rapport sur l’état du mal-logement en France (2022).

 

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