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"Construire plus et plus vite comme unique direction nous a conduits à une impasse"

Réhabiliter, transformer, proposer des typologies variées, renforcer le partage... Dans une tribune publiée sur le site News Tank Cities, Christine Leconte, présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes appelle à regarder le "futur du logement".
Publié le
, mis à jour le
1 mai 2024
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Haut-bois logements
Le Haut-Bois, logements sociaux à Grenoble - Atelier 17C Architecte (Opération lauréate du Prix national de la construction Bois 2022)
(Photo © Iris Rodet)

"Demain… le logement ?

Depuis des années, nous avons engagé des politiques du logement en France inefficaces et contreproductives. L’objectif principal, et il n’est pas question de le contester, c’est évidemment de donner un toit à chacun d’entre nous. La politique choisie est toujours la même : il faut construire massivement. Force est de constater que les réponses apportées depuis des années ne fonctionnent pas : construire plus et plus vite comme unique direction nous a conduit à une impasse.

Petit à petit, nous nous sommes éloignés de la fonction première du logement : fabriquer le lieu de l’intimité de chacun d’entre nous, et participer à la fabrication de nos villes. La réponse à nos objectifs manque de recul aujourd’hui car quand nous construisons 300 000 logements en un an, 100 000 deviennent vacants en France en parallèle ! Car le logement n’est pas qu’une question de chiffre. C’est une question de vie.

La période que nous traversons nous oblige à réfléchir autrement. Aux besoins et aspirations des Français se confrontent les trois enjeux du siècle : celle du réchauffement climatique qui rend nos villes étouffantes, celle de la biodiversité qui nous demande de moins nous étaler dans la campagne, et celle de la pénurie des ressources qui requestionne nos manières traditionnelles de bâtir depuis 50 ans.

La ville telle que nous l’avons conçue depuis 50 ans n’a pas attendu pour nous montrer ses limites :  la dépendance à la voiture, la pollution, l’absence de nature… Les gilets jaunes, la pandémie, la pénurie de pétrole, les épisodes caniculaires : aujourd’hui chacun d’entre nous mesure l’importance d’un changement de regard sur nos façons d’habiter la terre.

Nos modèles sont tous à revoir drastiquement

Au vu de tous ces éléments, nous voyons bien que fabriquer nos lieux est une gymnastique qui devient de plus en plus complexe. Nous n’avons plus le choix, il va falloir faire des renoncements. Pour autant, et c’est une bonne nouvelle : renoncer peut aussi dire retrouver une forme de liberté dans la fabrication de nos espaces de vie. Sortir d’une forme de standardisation et des modèles pour remettre au cœur l’usage, la qualité spatiale, le lieu.

Favoriser la proximité et non la promiscuité

Nous opposons encore aujourd’hui la maison individuelle de lotissement au logement collectif sans regarder la pluralité des formes architecturales qui peuvent être mises en œuvre autrement. Nos modèles sont donc tous à revoir drastiquement. Il faut faire autrement. Nous reparlons de densité, mais celle-ci doit être mesurée, et de qualité. Elle doit favoriser la proximité et non la promiscuité. Mais cela tombe bien : des solutions existent. Nous savons aujourd’hui que des pistes sont possibles, appuyons-nous sur ces exemples architecturaux réussis pour construire nos politiques du logement de demain.

S’il est acquis aujourd’hui qu’il nous faut sortir le logement de la simple équation économique dans laquelle il s’est enfermé, nous devons favoriser une ouverture vers les diverses formes de promotion coopérative et sociale, en limitant le nombre d’intervenants dans le montage des opérations privées, pour limiter le coût de portage à 10 % du prix du logement. Il n’y a pas réellement un « logement du futur ». Adieu les chimères de l’an 2000 ! Il faut plutôt regarder le « futur du logement ».

Les architectes doivent pouvoir proposer des typologies variées

Premièrement, ce futur sera forcément composé d’une grande partie de logements déjà existants que nous devons transformer. Un enjeu de taille pour tous ! Il faut donc que nos modèles de production intègrent de plus en plus la réhabilitation. Rénover, transformer, réparer massivement la ville existante. Le futur de la ville se situe là. Nous avons tous le devoir de « considérer » à nouveau l’existant, limiter au maximum les démolitions, ou alors pour faire ce que l’on appelle de la « soustraction positive » : dégager de l’espace là où il n’y en a pas. Partir de l’existant, c’est aussi fabriquer de nouveaux espaces, récupérer des logements vacants, reconfigurer des logements obsolètes, améliorer le confort d’été et d’hiver.

Le temps du fordisme est dépassé

Dans un second temps, rappelons-nous que nous sommes tous différents : nos logements doivent être pluriels. Le temps du fordisme est dépassé. Les architectes doivent pouvoir proposer des typologies variées, des formes architecturales diverses, pour tous les usages et tous les moments de la vie. Pour cela, il faudrait proposer des études portées par les collectivités, par exemple, qui ouvrent des pistes qualitatives et définissent la règle d’intérêt général pour tous en amont de toute opération : les pistes pour une bonne intégration urbaine et une prise en compte du contexte territorial.

Ensuite, il faut laisser sa juste place à la conception architecturale qui nécessite beaucoup d’investissement en matière grise. Ne sous-estimons plus cette phase si importante ! Il y a de multiples façons d’habiter à imaginer conciliant enjeux écologiques et progrès social. C’est surtout l’inverse de la standardisation, qui est un frein à la transition écologique. Toutes ces variétés de logement nous permettraient de stopper la mono-fonctionnalité de certains de nos quartiers, et fluidifieront le parcours résidentiel - le parcours de vie - de chacun de nous. Un couple de retraités, un étudiant, et une famille recomposée… chacun a des besoins différents. Pour exemple, la France comptera 30 % de seniors en 2 070 (contre 25 % aujourd’hui). Cette évolution nécessite une forte adaptation des logements et des villes. Elle devra s’attacher à ce que nous offrions le meilleur à nos aînés, au cœur de la ville.

Privilégier une architecture du « circuit court » 

Troisièmement, l’Ordre des architectes plaide pour plus de bon sens dans l’acte de construire. Ne plus construire n’importe où, sur les terres agricoles, dans le lit majeur des fleuves ou dans de futures zones de submersion marine… Là aussi il faut apprendre à « ménager » le territoire plutôt que l’aménager. Privilégier une architecture du « circuit court » basée sur les ressources locales : les logements peuvent être construits ou rénovés en tenant compte des spécificités de chaque territoire. Pour construire du neuf, il faut être exemplaire, et sortir des simples équations économiques. Quelques mécanismes simples pourraient être mis en place pour construire davantage de logements de qualité.

Ainsi, l’on pourrait par exemple systématiser l’éco-conditionnalité des aides publiques, tant pour le neuf que la rénovation, à des critères de qualité (matériaux employés, environnementale, d’usage, urbaine). Nous devons aussi multiplier les expériences. Des innovations sociales, constructives, typologiques. L’Ordre a fortement porté l’AMI « engagée pour la qualité du logement » nous espérons que ce programme d’état porte ses fruits et permette de faire évoluer les jeux d’acteurs.

La ville « cousue main » est la ville de demain

Enfin, regardons ce que font les pionniers depuis des années en termes d’innovation. Nous savons faire. Donnons-nous les moyens : replaçons l’envie d’habiter au cœur des politiques publiques. Comme l’habitat social participatif au Havre et à Bordeaux, avec des coûts de sorties viables et qui proposent une qualité d’habitat impressionnante : des espaces mutualisés, des espaces supplémentaires à l’extérieur, des loggias, des coursives lumineuses qui deviennent des lieux habités, des espaces communs qui ne sont pas réduits au minimum. Comme ces architectes qui créent des logements de qualité sur une structure de parking silo, ou comme ces élus qui choisissent de ne pas démolir un corps de ferme et construisent quatre logements sociaux de caractère à l’intérieur. La ville « cousue main », c’est la ville de demain.

Si cela fonctionne, si nous travaillons dans ce sens, la politique du logement renforcera la cohésion sociale. Disposer en cœur d’ilot d’un vrai jardin, le tout « dessiné » par ses futurs usagers, deviendra la norme et donnera envie de vivre en ville. Cela participera ainsi à cette « qualité » qui doit être recherchée en architecture : la présence de balcons, de plus d’accessibilité, de plus de lumières, de transformations d’espaces pour qu’ils deviennent des espaces non de passage mais de sociabilité. Cette « architecture du partage » ouvre aussi des réflexions plus profondes sur « un urbanisme du temps ». Plus de cohésion. Et si c’était cela le logement, demain ?"

 

Tribune de Christine Leconte publiée sur le site News Tank Cities, le 14 octobre 2022

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