Vivre avec la Covid

Par ​Philippe PELLETIER, président du Plan Bâtiment Durable - Quel chemin pour la sortie de crise ? Voici une réflexion prospective pour la relance immobilière construite autour de cinq qualificatifs, comme autant de lettres du mot Covid : Confiante, Opportune, Visionnaire, Interdépendante, Durable.
785x785_47341_vignette_afm-190712-untitled123.jpg
(© photo : Studio Egret West / Source Archicontemporaine.org)
Atelier FM - Création d’un pôle d’innovation autour et pour la Radio. Surélévation d'une halle militaire - espaces partagés de co-working. A Montpellier - Architecte(s) : Alexandre Hordé Architectes, Studio Egret West, Match

Ne nous trompons pas, ce chemin de sortie de crise ne peut être simple et tranquille car il suppose que chacun, à sa place, manifeste pleinement  « la première des qualités humaines » (Aristote) qu’est le courage : ce « juste milieu entre la peur et l’audace » (ibid.), cette « mesure (« médieté ») par rapport aux choses qui inspirent confiance et celles qui inspirent de la crainte » (Montaigne). La vertu de courage conduit à « montrer l’audace la plus grande et calculer l’entreprise à venir » (Périclès), ce que Platon développe en révélant (dans ce dialogue de jeunesse sur le courage qu’est le Lachès), le lien entre l’audace et la connaissance, sans lequel le courage n’est que témérité. On pourrait, évidemment, approfondir cette vertu du courage qui a tant retenu l’attention des philosophes, mais ce n’est pas ici le propos qui consiste simplement à mettre en relief trois idées : pas de courage en l’absence de peur, pas de courage sans science et discernement, pas de courage sans confiance dans l’avenir.

La Confiance (I)

L’état de défiance généralisée n’a, sans doute, jamais caractérisé la société française autant qu’aujourd’hui et la crise de la Covid a accentué le trait : défiance dans nos dirigeants, les patrons, comme les corps intermédiaires ; défiance à l’égard de l’action politique, nationale et internationale, économique et sociale ; défiance envers nos voisins comme eux d’ailleurs ; défiance à l’égard de la parole publique comme médiatique, défiance envers la science et, plus généralement, l’univers des sachant et experts… et on pourrait poursuivre la litanie d’où sortent peut-être indemnes le lien parental, le médecin de famille et l’élu local. L’essentiel est de se demander comment inverser cette tendance délétère qui obère toute reconstruction. L’histoire enseigne que les grandes crises, les cataclysmes majeurs ont été souvent suivis de rebonds spectaculaires, mais toujours fondés sur une foi sans faille dans l’avenir. Deux exemples topiques l’illustrent : au milieu du 14ème siècle et alors que la guerre de cent ans accélère un exode rural massif qui amplifie l’épidémie, la grande Peste décime des régions entières (40 % de la population adulte de la Maurienne au cours d’un seul été…) et, pourtant, la vitalité de la population est là : la démographie reprend, la culture des champs aussi, annonçant l’extraordinaire dynamisme économique des siècles suivants ; plus proche de nous, la capitulation de 1945 laisse exsangues le Japon et l’Allemagne qui illustreront ensuite le miracle économique qu’on connaît. Le défi qui s’ouvre à la société française est donc immense : comment sortir de cette mise à l’arrêt économique du pays et soulager les fragilités sanitaires et sociales qui ont émergé, sans être en mesure de sérier les voies et moyens pour rétablir entre nous la confiance : si cette réconciliation avec une société de confiance ne s’opère pas, il est à craindre que nos efforts de reprise économique restent vains. Voilà donc deux pistes à approfondir ensemble : d’abord, développer la confiance en soi-même, cette conscience que j’ai de mes capacités à faire face et m’adapter aux circonstances de la vie ; cela passe, bien sûr, par l’apprentissage au sein de la famille, mais aussi par l’instruction scolaire qui doit armer chacun de nous à prendre place dans la vie économique et sociale du pays, et par la formation continue qui nous permet de suivre les mutations rapides qui traversent nos organisations. J’en tire deux priorités pour l’action de relance : accueillir impérativement dans nos entreprises les 700 000 jeunes qui seront dès cet été sur le marché du travail, quelles que soient nos difficultés d’entrepreneurs, et renforcer radicalement la place bien insuffisante faite dans notre société à l’éducation et l’apprentissage : il est grand temps de porter un autre regard sur les enseignants qui, par la transmission des savoirs et connaissances, sont en mesure de donner confiance aux jeunes de notre pays. Ensuite, renforcer la confiance dans notre aptitude commune à « faire société », c’est-à-dire à partager une lecture positive de l’avenir et à s’organiser dans cette perspective, autour des trois valeurs de notre république. On a beaucoup fait référence ces derniers temps à l’esprit de la Libération qui a conjugué une espérance (le boom démographique en est une illustration topique) et une volonté collective (le Conseil National de la Résistance, la création de la Sécurité sociale…) ; si l’histoire n’est jamais la même, les forces qui l’animent peuvent se retrouver à l’œuvre, et notamment celles-ci : nous avons tous pris conscience, lors du confinement, de nos fragilités immenses et simultanément de nos interdépendances majeures. Nous devrions y trouver l’idée simple que c’est seulement ensemble que nous retrouverons le chemin d’une vie apaisée ; et cette voie est d’autant plus accessible que nous pouvons mesurer combien, sur notre planète, notre pays constitue un oasis de bonheur et de paix. Il suffit de voyager ou même de regarder le monde pour s’en convaincre : contrairement à la perception qu’ont trop d’entre nous, peu de nations sont aussi démocratiques et redistributives, même si des progrès doivent en permanence être accomplis.

L’opportunité (II)

Saisir l’opportunité, c’est repérer les conditions favorables, les avantages que l’on peut tirer d’une situation. L’attitude peut être celle du prédateur, qui dévore tout organisme marqué de signes de faiblesse ; elle est aussi celle de tous ceux qui, pour nourrir efficacement la relance, relèvent que toute crise recèle des voies de progrès et d’adaptation. Au cas présent, je retiens trois opportunités : au premier chef, la place nouvelle offerte à la rénovation des bâtiments qui s’ouvre à l’industrie immobilière. Pas besoin de longs développements pour saisir que c’est le terrain par excellence de la reprise d’activité du bâtiment et de l’immobilier, que le désir de maintien à domicile des personnes âgées s’est renforcé, qui suppose des travaux d’adaptation au vieillissement et au handicap, que la demande de transformation de l’espace monte dans les entreprises comme chez les ménages qui ont fait l’expérience du confinement dans leur logement, que l’accroissement des fragilités économiques appelle la maîtrise des consommations d’énergie, que l’exigence d’une meilleure qualité de l’air incite à penser nos bâtiments d’un point de vue sanitaire... Cette opportunité doit conduire les acteurs et les investisseurs de la construction neuve à concentrer une part croissante de leur activité sur le parc existant, sa transformation, son adaptation, son extension. Au deuxième chef, l’opportunité d’un bond numérique. Nous avons manifesté pendant la crise notre appétence collective au numérique, au-delà des échanges à travers les réseaux sociaux : le télétravail, la réception d’actes notariaux à distance, les visioconférences, la numérisation de l’instruction par les grandes villes des demandes d’urbanisme, la dématérialisation des paiements… sont autant de signes de notre aptitude à aller rapidement plus loin. Le moment est donc venu de forcer le pas sur la diffusion du BIM, la tenue à distance d’assemblées de copropriétaires, la dématérialisation des procédures d’urbanisme (sans attendre 2022, sans cantonner cela aux communes de plus de 3 500 habitants), la numérisation des ventes immobilières.... Au troisième chef, l’opportunité d’une nouvelle phase de décentralisation. Nous avons éprouvé une évidence : notre pays fonctionne bien quand s’instaure une répartition confiante des rôles entre l’Etat régalien qui fixe la perspective et la règle générale, et les collectivités locales qui, au plus proche du terrain, ajustent la règle et la déploient pratiquement. Le moment n’est-il pas venu de traduire cette évidence dans l’encadrement administratif des métiers du bâtiment et de l’immobilier pour y gagner efficacité des concertations, rapidité de la décision et souplesse de l’action ?

La vision (III)

Pour construire un parcours de vie, nombreux sont ceux qui ont besoin d’une perspective : celle-ci ne se réalisera pas toujours, les surprises et accidents de la vie venant en contrarier parfois le cours, mais elle structure toujours le chemin. Il nous faut donc, au-delà de la reprise immédiate d’activité et des actions de relance, faire œuvre prospective pour consolider la route : comment voulons-nous développer l’immobilier du vingt et unième siècle, tout en l’adaptant aux crises qui traversent et traverseront notre société, épidémiques, climatiques, sociales ? Deux idées peuvent participer à la construction de cette vision. La première consiste à penser que notre avenir immobilier se concentre sur le recyclage urbain : plus encore que la rénovation du parc existant, c’est à une restructuration des villes que nous devrions nous atteler de façon à rendre désirable la vie dans l’existant rénové. Le programme Action cœur de Ville montre un chemin sans doute reproductible : 222 villes moyennes ont décidé ensemble de mener la revitalisation de leur centre urbain en saisissant la main tendue de l’Etat d’une part, de la Banque des Territoires, Action Logement et l’Agence Nationale de l’Habitat d’autre part, qui se sont engagés à changer radicalement leurs modes d’intervention. Au premier de mobiliser ses administrations pour qu’elles interviennent en même temps sur le logement, les bâtiments publics, les commerces, les infrastructures, la voirie, mais aussi la culture, le sport, l’animation urbaine ; aux trois financeurs de mettre en œuvre rapidement et de façon coordonnée leurs financements de l’ingénierie et des travaux. Le programme débute - et il faudra suivre attentivement ses progrès - mais il porte une vision essentielle : la ville est un tout qui ne deviendra désirable que si elle donne lieu à une approche globale de sa transformation. En somme, je plaide pour un grand chantier de revitalisation des centralités, à l’instar de l’action de rénovation urbaine entreprise hier aux périphéries, et pour que ce chantier, déployé à grande échelle, mobilise l’ensemble de la filière professionnelle, des grands du BTP aux artisans du bâtiment, de la maîtrise d’ouvrage à la maîtrise d’œuvre. La deuxième idée est de méthode. Je crois profondément que notre société, devenue si éclatée et disparate, requiert un changement de mode de production immobilière : hier, au siècle dernier, la reconstruction du pays, la multiplication nécessaire des surfaces bâties supposaient une logique de l’offre, produisant logements et locaux d’activité assez stéréotypés et en grande quantité, qui trouvaient immédiatement preneur compte tenu de la situation de pénurie. Désormais, la question de l’adaptation du parc existant, spécialement au vieillissement de la population, et celle d’une prise en compte plus fine des besoins différenciés de logements s’imposent à nous. Ce qui modifie la logique de production qui s’inscrit dorénavant de plus en plus dans une stratégie de la demande : offrir des pensions de famille aux gens de la rue, de la colocation aux jeunes, des résidences aux étudiants et aux personnes âgées, des béguinages, des appartements communautaires, des logements intergénérationnels, voilà des demandes claires, encore insuffisamment satisfaites. Et puis, il y a ce besoin qui nait de locaux évolutifs dans leur surface comme dans leur usage, bref une demande sur-mesure qu’il va falloir mieux prendre en compte ; et puisque cette demande est plus onéreuse, il va falloir inventer une double action : réduire le coût de production de ces locaux (accélération des procédures, organisation des chantiers, préfabrication...) et transformer l’immeuble en centre de profits (meilleure utilisation des surfaces de parking, récupération de chaleur, production mutualisée d’énergie, recyclage des déchets et économie circulaire...).

L’interdépendance (IV)

C’est une confirmation pour beaucoup, une surprise pour certains : notre monde est fait d’interdépendances étroites, un peu comme un château de cartes, un jeu de dominos ou une chaîne dont la force dépend de celle de son plus faible maillon. Et si nous sommes tellement tributaires de la bonne volonté ou la capacité de tel producteur, sous-traitant, partenaire, d’ici ou d’ailleurs, c’est l’annonce que la reprise pérenne que nous tentons d’organiser ne réussira que si nous jouons collectif. Je crois le moment bienvenu de constituer des groupements d’entrepreneurs de spécialités complémentaires, susceptibles de proposer au marché des offres groupées, globales. Le temps est, sans doute, révolu du travail en silo, où chacun court dans son couloir sans souci de son environnement de travail : le besoin de sur-mesure déjà identifié, comme les chantiers du renouvellement urbain ou de la rénovation des bâtiments ne peuvent être menés à bien que par une action coordonnée des divers intervenants ; le numérique y trouvera un terrain privilégié d’application. Mais plus encore, c’est un état d’esprit collectif qu’il nous faut développer en ayant cette conviction que seul, je n’y arriverai pas. Et cet esprit doit aussi envahir l’entreprise, en associant davantage les salariés aux fruits de l’entreprise, en modulant plus justement la rémunération du capital et du travail : tout est lié.

Le durable (V)

Loin d’être réduite trop souvent à l’état de rengaine ou de mantra, la durabilité de nos actes traduit une réalité aussi précise que sérieuse : il s’agit de vérifier en permanence, d’une part que les trois composantes de l’action durable sont à l’œuvre en même temps, l’économique, le social et l’écologique, d’autre part que les actes déployés ne s’inscrivent pas dans un court terme qui viendrait pénaliser les générations futures. Le champ du développement durable est ainsi immense ; dans le domaine du bâtiment et de l’immobilier, il interroge particulièrement nos techniques constructives, la qualité de nos équipements et matériaux, notre capacité d’approvisionnement de proximité, notre aptitude à participer à une économie circulaire, le souci de la biodiversité et du traitement des déchets, l’économie d’énergie, le partage des espaces, la mutualisation des usages, l’association des mobilités, la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, la prise en compte du poids carbone du bâtiment au cours de ses phases de construction, exploitation, déconstruction... En somme, et pour clore ce billet, vivre avec la Covid va nous conduire à évoluer si nous voulons redonner à nos existences un tour apaisé ; il va falloir renouer avec la confiance, saisir les belles opportunités qui s’offrent à nous, les inscrire dans une vision prospective à l’échelle du siècle, jouer collectif et, surtout, enraciner nos actions immobilières dans la prise en compte des générations futures : tout cela suppose détermination et courage, mais je gage que nous n’en manquons pas.


Philippe PELLETIER, président du Plan Bâtiment Durable

 

## Mots-clés pour rechercher dans le Livre blanc :
Ecologie Climat Matériaux | Réemploi | Santé | Résilience Biodiversité Rénovation éco-conception | Innovation Expérimentation |
Urbanisme | Aménagement | Territoires | Métropoles | Ville | Accessibilité Coeur de ville | Centres bourgs | Participation | Patrimoine Revalorisation |
Logement Logements sociaux | Habiter Réversibilité | Evolutivité |

Publié le 30.09.2020 - Modifié le 07.10.2020