Selon la fondation Abbé Pierre, les jeunes sont en grande précarité partout en Europe

Dans leur « 6ème regard sur le mal logement en Europe » publié le 5 mai 2021, la Fondation Abbé Pierre et la Fédération européenne des acteurs travaillant avec les sans-abris (Feantsa) lancent une alerte sur le mal-logement qui touche les jeunes, et pointent le risque pour eux de basculer à terme dans le sans-abrisme. Sans politique préventive, elles redoutent l’enfermement en Europe « d’une génération entière dans la précarité ». Elles formulent une dizaine de recommandations pour aider les Etats membres à prendre rapidement des mesures concrètes, dont certaines visent la construction et la rénovation.
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« Une vague de pauvreté » menace l’Europe, selon les associations du mal-logement

Partout dans l’Union Européenne, les ménages ont de plus en plus de mal à accéder et à se maintenir dans un logement. Dans leur rapport sur l’état du mal logement en Europe, publié le 6 mai 2021, la Fondation Abbé Pierre et la Feantsa révèlent ainsi plusieurs chiffres alarmants pour illustrer ce constat, et s’alarment surtout des conséquences de la crise sanitaire.

Pour la fondation Abbé Pierre, comme pour la Feantsa, l’année 2021 représente une « année charnière » pour l’Union Européenne, alors que les mesures d’urgence (mises à l’abri, moratoires sur les expulsions, etc.) déployées depuis le début de la pandémie liée au Covid-19 sont, par essence, temporaires. « Sans plans d’action pérennes pour en prendre le relais, l’Europe devra faire face à une vague de pauvreté, avec un nombre croissant de personnes risquant de perdre leur logement ou leur hébergement lorsque ces mesures prendront fin » alertent Freek Spinnewijn, Directeur de la FEANTSA, et Christophe Robert Délégué Général de la Fondation, en introduction du rapport.

En 2019, les associations estimaient déjà à minimum 700 000 le nombre de personnes sans domicile fixe sur une nuit dans l’UE, soit une augmentation de 70% en dix ans. En parallèle, le prix du logement a continué de progresser, surtout pour accéder à la propriété (+23%) et dans une moindre mesure pour la location (+16%). Cependant, les locataires les plus pauvres ont consacré une part plus importante de leurs revenus dans leurs dépenses de logement (+60%).

Dans ce rapport, elles insistent plus particulièrement sur les répercussions de la crise sanitaire sur les conditions de vie des jeunes européens, déjà fragilisés avant l’arrivée du Covid-19. Plus généralement, les associations redoutent une « vague de pauvreté » qui pourrait toucher l'Europe, alors que partout le chômage et les demandes d'aide alimentaire sont en hausse.

« Les 18-30 ans ont été les premières victimes des conséquences économiques et sociales de la crise du Covid-19 »

Loyers élevés
Le marché du logement était en crise bien avant l’arrivée du Covid-19 et s’est donc accentué, décrit le rapport.   En termes de budget, les jeunes âgés de 18-24 ans, consacraient en moyenne 40% de leurs revenus à leur loyer. Dans le détail, ce sont des niveaux qui peuvent monter à 11,5% en France, 19% au Royaume-Uni ou à 47% en Grèce, et surtout dans les grandes villes européennes : « dans certaines capitales où le marché du logement est particulièrement tendu, le loyer moyen d'un appartement d'une pièce peut représenter plus de 100 % du revenu médian d'une personne âgée de 18 à 24 ans, comme c'est le cas à Londres, à Lisbonne, à Paris, à Amsterdam, à Barcelone ou à Helsinki », note le rapport.

Chômage
D’après les statistiques européennes (Eurostat), près de 3 millions de jeunes de moins de 25 ans étaient au chômage en février 2021, soit 230 000 de plus qu’en février 2020.

Aide alimentaire
En Europe, la demande d’aide alimentaire a augmenté de 25 à 30% entre mars et mai 2021. En France, depuis le début de la pandémie, 20% des jeunes de 18-24% ont eu recours à l’aide, et 35% craignent désormais ne plus pouvoir faire face à leurs dépenses de logement (source : Ipsos, janvier 2021).

Mal logement et sans abrisme
Quand ils peuvent se loger, les jeunes sont souvent contraints de vivre dans des logements inadaptés : « indécence, précarité énergétique, cohabitation forcée.  Ces conditions de logement ont des conséquences néfastes sur le parcours des jeunes vers l’autonomie. » pointe ainsi le rapport, avec  près de 23,5% des 15-29 ans qui vivaient dans un logement surpeuplé en 2019 (contre 16,7% en moyenne pour la population). Aussi, la précarité énergétique progresse largement parmi les jeunes : en France, 66% des 18-34 ans ont restreint leur chauffage (contre 53% en moyenne pour la population), 29% ont souffert du froid pendant au moins 24h (contre 14%), et 20% ont connu une coupure suite à des difficultés de paiement (contre 8%).

En outre, quatre personnes sur 100 déclarent avoir été sans domicile au moins une fois au cours de leur vie. En France, 9% des sans abri avaient ainsi moins de 25 ans et 35% entre 25 et 39 ans, selon des estimations effectuées lors de la Nuit de la solidarité. Le constat est encore plus alarmant dans certains pays voisins, comme au Danemark (33%) ou en Autriche (44%).

« La population sans domicile rajeunit sur un territoire européen vieillissant », résument ainsi la Fondation Abbé Pierre et la Feantsa, en regrettant en particulier que l’action publique se soit « concentrée » jusqu’à présent sur l’emploi et la formation des jeunes. Dès lors, les associations appellent l’UE et les Etats membres à mobiliser des fonds européens en faveur de logements « dignes et abordables » pour les jeunes, au risque sinon « d'enfermer une génération entière dans la précarité ».

Que peut faire l’UE contre le mal-logement ?
Pour la fondation Abbé Pierre et la Feantsa, l’Union Européenne doit prendre des mesures concrètes pour lutter contre le mal-logement, à savoir :

  • Se fixer des objectifs de réduction et de suppression du sans-abrisme clairs d’ici 2030, en phase avec les objectifs de développement durable (ODD) ;
  • Anticiper la fin de la crise sanitaire avec des mesures exceptionnelles prises pour protéger les plus démunis et parvenir au « zéro remise à la rue post-covid » ;
  • Coordonner des outils communs au niveau européen ;
  • Encourager l’encadrement des loyers dans les grandes villes et les zones de marché tendues.

Les 27 états membres de l’UE s’engagent pour une Europe « plus inclusive et plus sociale »
Les dirigeants de l’UE se sont réunis lors d’un sommet social à Porto, les 7 et 8 mai 2021, pour réaffirmer le plan d’action du Socle européen des droits sociaux[1] de la Commission européenne, un ensemble de 20 grands principes qui oriente la politique sociale européenne. 
Dans un engagement du Sommet social de Porto, tous les partenaires (institutions, partenaires sociaux et représentants de la société civile) ont souscrit aux trois grands objectifs à atteindre à l’échelle de l’UE dans les domaines de l’emploi, des compétences et de la protection sociale :

  1. Augmenter à 78% le taux d’emploi ;
  2. Assurer à 60% des adultes une formation chaque année ;
  3. Réduire de 15 millions le nombre de personnes menacées d’exclusion sociale ou de pauvreté (par rapport à 2019), dont au moins 5 millions d’enfants.

Les associations saluent par ailleurs l’initiative de la Commission européenne de lancer, en juin 2021, la plateforme européenne de lutte contre le sans abrisme. Elles entendent s’engager « à contribuer à la pertinence » de cet outil, et à partager leurs expertises pour atteindre les objectifs fixés en matière de logement. 

Dans ce rapport, elles listent neuf recommandations pour aider les institutions européennes et les Etats membres à mettre en place rapidement des mesures concrètes pour lutter efficacement contre le mal logement des jeunes.

Les recommandations pour « soutenir la jeunesse » en matière de logement

  1. Intégrer une dimension "accès et maintien dans le logement des jeunes" en parallèle et en lien avec la Garantie Jeunes, dans la Stratégie européenne pour la Jeunesse ;
  2. Étendre le bénéfice d’un revenu solidarité minimum aux jeunes âgés de 18 à 25 ans dans les pays où cette génération n’y a pas accès ;
  3. Développer les garanties offertes aux locataires – dont les jeunes - les plus en difficulté, dont des mécanismes de fonds de garanties pour les loyers impayés ;
  4. Assurer l’aide au logement des jeunes en adéquation avec les prix du marché ;
  5. Développer une offre de logements adaptée et abordable (logement social, intermédiaire, habitat coopératif, intergénérationnel, résidences étudiantes, foyers jeunes travailleurs, etc.) ;
  6. Assurer aux jeunes l’accès au logement social ;
  7. Rendre le marché locatif privé moins risqué et encourager la sécurité d’occupation afin de préserver les opportunités de logement pour tous les jeunes (encadrement des loyers, réglementation des locations meublées touristiques) ;
  8. Privilégier le soutien aux stratégies intégrées et de long terme dans la lutte contre le mal-logement, conformément aux principes du Logement d’abord (décloisonnement des pratiques, transformation de la gestion d’urgence vers des solutions pérennes…) ;
  9. Intégrer les réflexions sur l’accès au logement digne, abordable et adéquat pour les jeunes vulnérables dans le volet innovant Bauhaus de la Vague de Rénovation.

Le rôle clé des acteurs du bâtiment, des concepteurs aux bailleurs 
Elles estiment plus particulièrement que les acteurs de la construction et de la rénovation, comme les bailleurs sociaux, ont leur rôle à jouer pour améliorer les conditions de logement des jeunes.
Pour Sarah Coupechoux, co-coordinatrice du rapport, chargée d’étude Europe de la Fondation Abbé Pierre, il est nécessaire de « produire des logements étudiants et des petites unités de logement abordables, du logement accompagné pour les jeunes en recherche d’emploi ou entrant sur le marché du travail, multiplier les offres intergénérationnelles ou multiculturelles ».
Parmi les autres préconisations adressées au secteur du bâtiment, le rapport insiste sur le besoin « d’accompagner les propriétaires de logements les plus dégradés », en attirant plus particulièrement l’attention sur deux points :

  • S’assurer que l’application des nouvelles normes européennes dans le secteur du bâtiment bénéficieront aux ménages les plus précaires ;
  • Mieux encadrer les pratiques de financiarisation des logements, et notamment des travaux de rénovation énergétiques, qui entraînent parfois des phénomènes de gentrification en provoquant une hausse des loyers ;

En suggérant par ailleurs l’ouverture du parc social aux jeunes, les associations appellent les bailleurs sociaux à « promouvoir la connaissance de l’offre de logements sociaux » auprès d’eux mais aussi à « exercer une vigilance particulière sur les jeunes en situation de précarité ».
Les auteurs suggèrent par exemple d’instaurer « des loyers tout-en-un (incluant des charges liées à l’eau, l’électricité et le gaz) et stables dans la durée » pour faciliter l’accès au logement abordable des jeunes, comme l’a fait en France le bailleur Pas de Calais Habitat.
D’autres Etats membres agissent pour faciliter l’accès des jeunes au logement subventionné (public ou social), comme en Italie, à Bologne où « un premier projet de logement public coopératif italien est dédié aux moins de 35 ans » : « 18 appartements ont été rénovés dans un immeuble appartenant à la mairie et situé dans le centre historique de la ville, chaque étage du bâtiment modernisé comptant désormais des services et des espaces partagés ». En échange d’un loyer inférieur au marché, les jeunes locataires s’engagent alors à rendre un service à la communauté : animations, aides aux devoirs, entretien des jardins publics, etc.

Pour en savoir plus :

 

[1] Le Parlement européen, le Conseil et la Commission ont proclamé le socle européen des droits sociaux en 2017 lors du sommet de Göteborg, en Suède.

Publié le 10.05.2021 - Modifié le 11.05.2021
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(Source : fondation-abbe-pierre.fr)
La Fondation Abbé Pierre et la Feantsa ont publié leur "6ème regard sur le mal logement en Europe", le 6 mai 2021.