Selon la Fondation Abbé Pierre, la crise sanitaire amplifie le mal-logement en France

Le 26ème rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement, publié mardi 2 février, est dédié aux conséquences de la crise sanitaire sur les personnes mal logées. Il propose une analyse de la politique de logement post-Covid et des mesures adoptées par le gouvernement, en insistant en dernière partie sur les obstacles à lever pour lutter durablement contre la précarité énergétique.
« La crise est en train d'arriver », a prévenu Manuel Domergue, le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, à l’occasion de la présentation à la presse du rapport. Si l’impact à moyen terme de la crise sanitaire, et de la crise sociale qui en découle, reste encore à qualifier, la Fondation craint notamment « une bombe à retardement », sur les ménages modestes, les jeunes et, par extension, sur tous les acteurs de la chaîne du logement.
Une « double peine » pour les mal-logés : des difficultés amplifiées et un risque de contamination renforcé
- En 2020, 4,1 millions de personnes n’ont pas de logement ou sont mal-logées, parmi lesquelles on compte plus de 300 000 personnes sans-domicile fixe, avec des besoins de base non satisfaits et un isolement accru en période de crise.
- Dans l’urgence, les hébergements supplémentaires (30 000 places d’urgence ont été créées) se sont révélés insuffisants pour répondre à l’ampleur des besoins. Début avril, plus de la moitié (53%) des demandes d’hébergement n’avaient pu être satisfaites, selon le Collectif des Associations Unies.
- Parmi les personnes ayant obtenu un hébergement, beaucoup ont été contraintes de cohabiter dans de mauvaises conditions de logement (habitat indigne, surpeuplé, etc.) avec des risques de contamination renforcés :
- A l’été 2020, 52% des personnes accueillies dans des centres d’hébergement, des foyers ou gymnases, avaient été touchées par le virus, soit 5 fois plus que la moyenne francilienne, selon Médecins Sans Frontière.
- De même, les données de l’enquête EpiCov ont révélé que 9,2% des personnes vivant en surpeuplement avaient été touchées par le virus en mai, contre 4,5% de la population générale.
Des ménages fragilisés par la crise, en particulier les jeunes
- Selon une enquête réalisée en partenariat avec l’institut Ipsos (du 14 au 15 janvier 2021), la situation financière de près d’un tiers des français (32%) s’est dégradée depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020, d’abord chez les jeunes (43% des 18-24 ans) et les plus démunis (55% des allocataires des APL).
- Autre signal de cette précarisation, en 2020, 14% des français ont rencontré des difficultés liées au logement, malgré les aides publiques, pour payer leur loyer ou rénover leur logement. Ils sont deux fois plus nombreux (29%) à redouter d’avoir ces mêmes difficultés en 2021.
- Les jeunes éprouvent davantage de difficultés : 20% des jeunes ont du mal à payer leur loyer en 2020, et 12% voient leurs conditions de logement se dégrader (contre 7% en moyenne dans le reste de la population). Plus d’un tiers d’entre eux (35%) craignent de ne pouvoir faire face à leurs dépenses de logement en 2021.
- L’étude révèle aussi un recours accru à l’aide alimentaire : 8 millions de bénéficiaires en septembre 2020 contre 5,5 millions en 2019). Là encore en plus forte hausse chez les jeunes : un quart des moins de 25 ans déclarent avoir eu recours à une aide alimentaire en 2020, dont les trois-quarts pour la première fois.
La crainte d’une « bombe à retardement » : éviter les expulsions et relancer la production de logements
Selon la fondation, l’explosion de la demande d’aide alimentaire et la montée des impayés sont les premiers effets de la crise sociale. Mais « Le tableau est inquiétant pour l’année qui vient. Certes, il y a eu peu d’expulsions locatives mais les impayés vont forcément s’accumuler », affirme Manuel Domergue, qui craint « le début d’une nouvelle vague de nouvelles dettes ou des dettes préexistantes qui se creusent ».
Au-delà de ces situations préoccupantes, c’est toute la production de logements qui, avec la crise, s’est trouvée totalement bouleversée. Des projets de logement sont retardés, voire ajournés, dans un contexte de pénurie annoncée de l’offre, indique le rapport. Selon les chiffres de la Fondation Abbé Pierre, il y a eu :
- 100 000 attributions HLM en moins en 2020 par rapport à 2019, soit une chute de 20% du nombre d’attributions de logements sociaux ;
- 100 000 permis de construire en moins délivrés en 2020, même estimation pour 2021 ;
- Près de 90% des chantiers à l’arrêt fin mars, entraînant un retard important des projets de construction et de réhabilitation, ainsi que, par la suite, des surcoûts de 8 à 20 % pour les opérations en cours, auquel il faut ajouter la perte des loyers due au décalage de la livraison des logements, etc.
Pour relancer la production de logements sociaux en France, la Fondation propose notamment d’augmenter les minima sociaux, de généraliser l’encadrement des loyers et revenir sur les « ponctions qui ont été faites sur les organismes de logement social ». Elle en appelle aussi au durcissement des sanctions contre les communes qui ne respectent pas la loi SRU (25% de logement social). Enfin, elle juge indispensable de relancer la politique du Logement d’abord destinée à trouver aux personnes sans domicile fixe des logements pérennes.
La Fondation appelle à privilégier les rénovations globales performantes pour lutter durablement contre la précarité énergétique
Enfin, la Fondation consacre la dernière partie de son rapport à la rénovation énergétique des logements, pour en montrer tout l’intérêt sur le plan social et écologique mais aussi les limites au regard de l’ambition dont elle fait l’objet.
Avec l’accroissement de la précarité, l’augmentation des coûts de l’énergie et de l’habitat, et la mauvaise qualité thermique des logements, ce sont 12 millions de personnes « qui dépensent trop d’argent pour se chauffer », avec des effets sur leur santé. Comme le souligne la Fondation : « dans une passoire énergétique les personnes sont plus sensibles aux pathologies hivernales, et plus exposées aux difficultés chroniques respiratoires, articulaires, neurologiques ou de dépression ». Or, les périodes de confinement n’ont fait qu’aggraver le phénomène, surtout en hiver, alors que plus de la moitié des télétravailleurs (54%) déclarent également « souffrir de défauts d’isolation de leur logement » (confort thermique, humidité, ventilation, etc.)
En particulier, le rapport relève les difficultés rencontrées dans le parc privé, où la dynamique de rénovation a « plus de mal » à prendre que dans le parc social. Selon la fondation, « l’élimination de toutes les passoires thermiques d’ici 2025 est irréalisable au rythme actuel ». Au mieux, une diminution de la précarité énergétique de 7,5% entre 2015 et 2020, et à ce rythme l’objectif des 15% initialement visé pour 2020 ne seraient atteints qu’en 2027.
Or, en plus de progresser à un rythme insuffisant, « la plupart des rénovations engagées ne sont pas assez performantes », dénonce le rapport. En France, « le rythme des rénovations lourdes n’était que de 0,2 % du stock de logements par an » entre 2012 et 2016, d’après la Commission Européenne. En outre, seules 5 % des rénovations réalisées auraient eu un impact énergétique important, et seulement 25 % des rénovations entre 2014 et 2016 auraient permis de sauter au moins une classe du DPE.
A ce titre, la Fondation Abbé Pierre interpelle le gouvernement à agir pour lever « les obstacles économiques, financiers et politiques » qui persistent et vont à l’encontre de la lutte contre la précarité énergétique.
Pour soutenir l’élan de rénovation nécessaire, la Fondation émet plusieurs préconisations, partagées avec la Convention citoyenne pour le climat et le Haut conseil pour le climat.
Elle insiste en particulier sur la nécessité de :
- Prévoir un « financement sans reste à charge » pour que les ménages modestes en précarité puissent engager des travaux, mais aussi prétendre à une rénovation globale et performante de leur logement, qui reste souvent « trop chère et trop lourde ». En effet, avec un reste à charge autour de 35%, les ménages les plus modestes privilégient en général « de simples gestes de rénovations ». Autrement dit, une rénovation certes « moins coûteuse, mais rarement suffisante pour atteindre une bonne performance énergétique, un bon confort, et une vraie baisse des factures », souligne le rapport.
- Supprimer d’ici trois ans des aides aux gestes individuels et encourager le principe de l’éco-conditionnalité des aides, notamment à l’atteinte d’un niveau de performance élevé, comme le préconise le Haut Conseil pour le climat ;
- Massifier la rénovation en copropriété à l’échelle nationale, via « un système d’aide adapté, l’application de l’obligation de rénover en cas de ravalement et l’accompagnement technique, social, financier et indépendant » ;
- Développer une « culture professionnelle de la rénovation performante », en formant « l’ensemble de la filière à la rénovation globale et au travail interprofessionnel pour qu’elle se structure et réponde à la massification espérée de la demande » ;
- Mettre en place un « véritable service public pour la performance énergétique au niveau local, de l’identification au suivi post-travaux », en capitalisant notamment sur le réseau FAIRE.
Pour la Fondation, la stratégie du gouvernement consistant à ne déployer que des politiques incitatives, encourageant les citoyens à rénover à leur rythme, « n’est pas suffisamment ambitieuse » pour atteindre les objectifs climatiques en 2050. D’autant que 72 % des Français, avec une sur-représentation des locataires, seraient favorables à une obligation de rénover (enquête Opinionway pour l’ADEME, novembre 2020).
Pour aller plus loin :
>> Découvrir le 26ème rapport sur l’état du mal-logement en France en 2021 (rapport intégral, 358 pages)
>> Découvrir le dossier de synthèse complet (50 pages)
- Double peine et bombe à retardement : les mal-logés face au choc du Covid
- Quelle place pour les mal-logés dans « le monde d’après » ?
- Le Plan de relance sera-t-il l’opportunité d’un changement d’échelle pour la rénovation énergétique des logements ?
- Les chiffres du mal-logement.
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