Retour sur l’Observatoire de la qualité architecturale du logement en IDF

Les CAUE franciliens ont créé en 2005 un observatoire de la qualité architecturale avec le soutien de la DRAC Île-de-France. Les derniers résultats de cet observatoire ont été présentés le 16 février dernier.
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Les CAUE franciliens ont créé en 2005 un observatoire de la qualité architecturale avec le soutien de la DRAC Île-de-France. Les derniers résultats de cet observatoire ont été présentés à l’occasion de la matinée débat organisée le 16 février dernier par le ministère de la Culture sur le thème « l’architecture pour le logement ».

Elisabeth Rojat-Lefebvre, directrice du CAUE des Yvelines et Laurence Duffort, directrice du CAUE de Paris, référentes de cet observatoire présentent ici leurs témoignages.
Depuis 40 ans, les CAUE accompagnent les collectivités, les bailleurs sociaux et les promoteurs dans le cadre de leur activité de conseil. 
Avec le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France, les CAUE franciliens ont créé en 2005 un observatoire de la qualité architecturale du logement.

L’observatoire[1] est un outil de mise en réseau des acteurs de la construction du logement, d'accompagnement et d'évaluation des politiques et des réglementations en matière de production architecturale et de réflexion quant aux conditions d'émergence de la qualité architecturale. A travers l’analyse d’opérations dites « exemplaires » l’observatoire révèle aussi, en creux, les dysfonctionnements que rencontre aujourd’hui la production du logement et qui sont autant de freins à cette qualité architecturale.

La qualité d’une construction s’exprime dans le temps : de la programmation à l’utilisation, en passant par la conception, la réalisation et la gestion. Elle est le fruit de la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la chaine de production et d’une subtile combinaison entre des orientations des politiques locales, des contraintes spatiales et réglementaires, les connaissances techniques du moment, les références culturelles, sociales et architecturales communes, les souhaits des citoyens en matière d’esthétique, de fonctionnalité et d'innovation, les préoccupations économiques en adéquation avec les prix du marché et les préoccupations environnementales dictées par la nécessaire gestion des ressources et des énergies.    

Une baisse de la qualité observée
Quantitativement, la production du logement neuf (privé ou social) se porte bien, en France, comme en Ile-de-France. Une hausse de 18 % des mises en chantier de logements a été constatée entre février 2016 et janvier 2017 en Ile-de-France, mais cette bonne santé apparente cache une baisse de la qualité des constructions. Les CAUE le constatent à travers les analyses qu’ils conduisent et les témoignages qu’ils recueillent dans le cadre de l’observatoire ou à travers leurs activités d’assistance architecturale, auprès des collectivités ou des particuliers.

Le logement social financé avec des capitaux publics peut-il n’être soumis à aucune règle ?
On observe une mutation profonde dans le mode de production du logement social, puisqu’aujourd’hui 50 % de la construction de logements sociaux s’effectue via des opérations de vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). La moitié des logements sociaux construits sur le territoire national le sont par les acteurs du secteur privé, qui vendent les logements qu’ils construisent à des bailleurs sociaux.

Ce nouveau mode de montage des opérations présente des avantages certains, puisqu’il permet notamment de créer de la mixité entre logement public et logement privé, parfois au sein d’un même immeuble. Mais ce sont aussi deux logiques de production du logement difficilement conciliables et qui génèrent nécessairement des dysfonctionnements : le promoteur conçoit le logement comme un produit qui se doit d’être attractif, afin d’être vendu le plus rapidement possible, tandis que le bailleur conçoit un logement dont il devra assurer la gestion et le confort des occupants pour les 50 prochaines années.

Les cas de figure, désormais trop fréquents, ou les promoteurs construisent des programmes de logements destinés à 100% à l’acquisition par un bailleur social poussent la confrontation entre ces deux logiques à leur paroxysme.

Inventer une nouvelle manière de construire le logement social
Parmi les dysfonctionnements entrainés par cette généralisation de la VEFA, nous observons une perte de maîtrise et de compétence des bailleurs sociaux : celle de produire eux même leurs logements.

Dans le meilleur des cas, les promoteurs se conforment au cahier des charges établi par le bailleur mais les aléas du montage des opérations font qu’il est fréquent que le bailleur arrive trop tard pour que ce soit possible.

Pour pallier à cette perte de maîtrise, certains bailleurs expérimentent des solutions intéressantes comme le montage d’opérations en co-maîtrise d’ouvrage, ou encore le recours à la VEFA inversée, qui permet au bailleur de prendre en charge la construction et la commercialisation des logements privés de son opération. Ces solutions méritent sans doute d’être encouragées.

La mission complète de maîtrise d’œuvre pour assurer une cohérence globale
La généralisation de la VEFA dans le logement social entraine une baisse de la qualité constructive des logements que l’on observe de façon récurrente, notamment au niveau des finitions, avec des difficultés importantes de levée des réserves, pour les bailleurs comme pour les acquéreurs individuels. La phase de réception des chantiers nécessite d’être mieux encadrée, voire mieux accompagnée.

Cette baisse de la qualité constructive des bâtiments s’explique notamment par la pratique courante, dans les opérations en VEFA, de détacher la mission de conception du suivi de la réalisation et du chantier, entraînant ainsi une perte de cohérence globale du projet et une perte de qualité́ notamment en ce qui concerne la réalisation des détails.

La qualité constructive des projets est généralement moins bonne lorsque l’architecte n’est pas en mission complète. C’est lui qui a la connaissance de l’intention initiale du projet, la compréhension de chacun des détails qui le composent et qui peut en assurer le respect, jusqu’à la livraison du bâtiment.

Des copropriétés bloquées
L’observatoire, qui s’intéresse aux opérations livrées depuis au moins deux ans, révèle une complexité nouvelle dans la gestion future des logements : des copropriétés mixtes doivent fonctionner avec un propriétaire majoritaire, le bailleur social, qui peut parfois détenir 30% ou 40% de la copropriété et dont les intérêts diffèrent de ceux des autres copropriétaires. Il peut ainsi jouer un rôle bloquant dans certaines prises de décision pour engager des travaux. Un nouveau mode de gestion de ces copropriétés mixtes reste donc à inventer.

La massification des opérations à réguler
La massification des opérations induit une perte de qualité dans les logements eux-mêmes : d’une part, le nombre d’appartements par palier et la taille de la copropriété doivent être limités pour assurer une bonne gestion de l’immeuble dans le temps. D’autre part, la profondeur des immeubles et la compacité des volumes induisent certaines typologies de logements peu qualitatives (disparition progressive des cuisines placées maintenant trop souvent en second jour). Par ailleurs, l’investissement locatif produit de petits logements avec bien peu d’exigences qualitatives, leurs acquéreurs ne se projetant pas dans le fait d’y habiter.

Un urbanisme négocié pour éviter les recours
Dans la production des logements, le rôle des élus est majeur. Il est indispensable de leur offrir un accompagnement à toutes les étapes de la prise de décision : de la définition des règlements d’urbanisme à la participation aux jurys de concours.

Certaines collectivités, pour renforcer la maîtrise qu’elles ont sur la production de logements dans leur territoire, mettent en place des chartes de construction communales ou intercommunales. Ces documents n’ont pas véritablement de valeur juridique mais elles permettent aux promoteurs, aux bailleurs et aux architectes de savoir, au-delà des règlements d’urbanisme le cadre de leur intervention. Ces chartes sont souvent établies par les services et les élus en concertation avec les comités de quartiers et les habitants, ce qui engage et responsabilise les différentes parties vis à vis des projets futurs.

Cette notion d’urbanisme négocié, consiste à limiter les recours, qui sont encore très nombreux et qui ralentissent considérablement la production de logements. Son cadre juridique encore trop flou nécessite d’être clarifié.

Le concours d’architecture : un outil au service de l’innovation
La mise en concurrence des architectes par le recours au concours d’architecture est aujourd’hui la seule garantie du développement de l’innovation constructive et spatiale, ainsi que d’une diversité de production. Il est avéré que depuis les années 60, l’innovation dans le logement a été majoritairement soutenue par le logement social. Il serait véritablement dommageable, à l’ensemble de la production de logements de se priver de ce moteur d’innovation. Le temps de montage et le coût des concours d’architecture représentent une part très faible de la démarche de conception d’une opération, ils ne peuvent en aucun cas être considérés comme un frein à la production. Il faut au contraire s’en saisir comme une opportunité de dialogue, de médiation et de sensibilisation à l’architecture auprès des riverains d’un projet ou en invitant les habitants, formés au préalable par le CAUE, à participer aux concours d’architecture, là encore pour limiter les recours.

En conclusion, la qualité architecturale n’est pas une abstraction : la localisation des logements, leur proximité aux transports, commerces, équipements, offre culturelle, vie sociale, la dimension des espaces habitables, la réversibilité des fonctions, la générosité des espaces communs ; ou encore l’emploi et le réemploi de matériaux pérennes et leur mise en œuvre soignée la concrétisent. La qualité architecturale ne peut pas être optionnelle, car elle garantit un parc de logements stable et durable.

L’augmentation de la production est urgente et nécessaire, mais elle doit viser la réalisation de logements adaptés aux besoins d’aujourd’hui et adaptables à ceux de demain, pour permettre aux individus de s’ancrer et afin de s’inscrire dans une logique de gestion raisonnée des ressources spatiales et matérielles.

 

 

[1] Cet observatoire régional consiste en un ensemble d’analyses d’opérations de logement exemplaires, en l’animation de séminaires thématiques, qui réunissent maîtres d’œuvre, maîtres d’ouvrage publics et privés, aménageurs, élus et en l’organisation de visites d’opérations. Tous ces travaux font l’objet de publications, fiches, actes, dossiers thématiques, consultables en ligne sur www.caue-idf.fr.

Publié le 29.03.2018
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(© Archikubik / source : http://www.caue-idf.fr)
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