Réinventer la Seine : respectons les architectes !

Le CROA Haute-Normandie émet de sérieuses réserves sur la consultation lancée le 13 mars dernier à Rouen, qui pourrait, comme dans le cadre de l'appel à projets "Réinventer Paris", contourner le code des marchés publics et faire travailler gratuitement des centaines d'équipes d'architectes.
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Dans le contexte de crise dans lequel se trouve la profession d’architecte, avec une baisse de la commande publique et privée et l’absence d’encadrement légal des honoraires,  alors que la loi MOP et le code des marchés publics sont de plus en plus contournés, le Conseil régional de l’Ordre des architectes de Haute-Normandie émet des réserves sur « Réinventer la Seine », la consultation lancée par les villes de Paris, Rouen et Le Havre le 13 mars dernier. Les collectivités ont lancé un appel à projets innovants invitant les architectes, les urbanistes, les acteurs de la vie économique et culturelle à se constituer en équipes pluridisciplinaires pour imaginer de nouveaux usages et aménagements au fleuve sur une quarantaine de sites de l’axe Seine. Nous redoutons que cet appel à projets soit, dans la droite ligne de la vaste opération de communication de « Réinventer  Paris », en réalité, un appel à projets pour promoteurs privés, que des centaines d’équipes d’architectes travaillent sans être rémunérées. Nous rappelons aussi que l’architecture est d’intérêt public et le désengagement des collectivités dans ces appels à projets est très préoccupant. Le Conseil régional de l’ordre des architectes de Haute-Normandie soutient la position défendue par Catherine Jacquot, présidente du CNOA, dont nous reproduisons ci-dessous les propos tenus dans D’Architectures le 14/02/2016 à propos de « Réinventer Paris ».

 

« La dégradation des conditions économiques dans lesquelles les architectes exercent leur profession est grave. Les agences installées le constatent mais la situation est largement aggravée chez les jeunes diplômés qui ne trouvent pas d’emploi et n’ont pas d’autre alternative que de s’installer en auto-entrepreneurs avec des honoraires très bas, après six années d’études.

Dans le même temps, la privatisation de plus en plus importante de la commande, si la qualité architecturale et environnementale des constructions représente un enjeu de politique publique, impose aux élus et maitres d’ouvrage publics, une vigilance et une exigence accrues vis-à-vis des partenaires privés.

Dès le lancement de la consultation « réinventer Paris », nous avons émis des réserves et lancé une alerte. Une consultation de promoteurs privés qui associait à l’offre de charges foncières, un appel à projets innovants sans procédure de contrôle et de régulation pour définir les conditions d’exécution des missions des équipes pluridisciplinaires, nous a paru être une dérive périlleuse pour notre profession et tous les concepteurs associés.

 

Ce sont donc plus de 600 équipes qui ont accepté de travailler souvent de façon gracieuse et ce, pendant plusieurs mois. La rémunération était laissée à l’appréciation des promoteurs privés ; nous le savons, il n’est pas toujours dans leurs habitudes de rémunérer les consultations à hauteur du travail fourni, plus encore certains n’honorent leur facture qu’une fois le permis obtenu et purgé de tout recours... Nous nous efforçons de mettre en place un dialogue constructif avec les promoteurs privés pour une plus juste rémunération des équipes de maitrise d’œuvre. 

Dans une consultation de cette ampleur, lancée par la ville de Paris sur des terrains publics, il est très dommageable que la ville ne garantisse pas dès le départ des règles de bonne pratique.

Il y avait injonction d’innover ! Peut-on imaginer que la recherche en architecture puisse se faire dans de telles conditions ? Recherche et développement ont besoin de structures pérennes et de crédits alloués pour se développer.

Les agences d’architecture en investissant ainsi s’affaiblissent et seront dans l’avenir encore moins susceptibles de développer la recherche dont le bâtiment a impérativement besoin. La conception est au cœur de la transition écologique et il est nécessaire qu’avec la représentation professionnelle, l’Etat et des collectivités territoriales créent les conditions d’une viabilité économique des agences d’architecture.

Etre innovant c’est mettre fin à des pratiques surannées ou l’architecte-artiste travaille pour la gloire. L’architecte est aussi un chef d’entreprise.

Nous sommes tout à fait conscients de la mutation de notre exercice professionnel et nous proposons que l’Ordre des architectes, à un niveau national ou régional soit associé ou consulté sur l’organisation de prochaines consultations en partenariat avec les acteurs privés. C’est l’intérêt de tous d’établir des règles précises offrant une place respectueuse au travail de tous les intervenants. »

 

Catherine Jacquot

D’architectures (14/02/2016)

 

Publié le 25.03.2016 - Modifié le 28.03.2017
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Frédéric BISSON / FLICKR
La Seine à Rouen