« Redresser le cap, relancer la transition » : la rénovation énergétique, mesure prioritaire selon le Haut conseil pour le climat

Le Haut conseil pour le climat (HCC), l’instance chargée d’évaluer et d’accompagner les politiques de lutte contre le changement climatique depuis fin 2018, rappelle l’urgence climatique dans un contexte où, en plus de connaître une crise sanitaire sans précédent, la France est toujours loin de ses objectifs de transition bas-carbone. L’organisme regrette notamment que les premières mesures d’urgence en réponse à la crise du Covid-19 n’intègrent pas suffisamment les enjeux climatiques. A ce titre, le HCC demande justement « de ne pas d’intégrer le climat au cadre du plan de reprise mais d'insérer le plan de reprise dans les limites du climat" dans leur second rapport annuel, intitulé « Redresser le cap, relancer la transition », publié en juillet 2020.
Une réduction des émissions « trop lente et insuffisante » en 2019
Après avoir signaler en 2019 des actions « insuffisantes » contre le changement climatique, le HCC souligne en 2020 « des progrès » dans la gouvernance. Les auteurs du rapport, treize experts indépendants dans le domaine du climat, pointent néanmoins l’absence « d’avancée structurelle quant au rythme de baisse des émissions ». Ils jugent en effet une réduction « trop lente et insuffisante » pour permettre d’atteindre les objectifs de neutralité carbone. Les émissions globales de la France ont diminué de 0,9% en 2019, loin de l’objectif annuel des 3% à atteindre d’ici à 2025.
Le bâtiment, un secteur encore trop émetteur mais porteur de fortes réductions d’émissions
Les auteurs insistent sur les quatre secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre (GES) qui représentent 86% des émissions nationales en 2019, avec les transports (30%), l’agriculture (19%), le bâtiment et l’industrie (18% chacun).
Ils notent en particulier une réduction des émissions des bâtiments entre 2018 et 2019 (-2,7%) liée à la baisse des consommations d’énergie, plus importante dans le tertiaire (-3,2%) que dans le secteur résidentiel (-2,3%). Si le secteur du bâtiment arrive en troisième position, après correction des variations météorologiques, ses émissions demeurent néanmoins à un niveau équivalent à celui de l’agriculture (85 millions de tonnes équivalent CO2). Mais, cette mesure ne comprend pas les émissions de la construction (comprises dans le secteur de l’industrie), ni celles liées à l’artificialisation des terres (comprise dans le secteur de l’utilisation des terres et des forêts).
En outre, le secteur du bâtiment reste l’un des secteurs, avec celui des transports, ayant accumulé le plus de retard vis-à-vis des objectifs à atteindre fixés dans la Stratégie Nationale Bas Carbonne (SNBC) Le secteur du bâtiment n’est pas sur la trajectoire vers la neutralité carbone en 2050, et s’en éloigne en émettant en 2018 davantage d’émissions de CO2 que ce qui était anticipé en 2015 (+44 millions de tonnes équivalent CO2). (Voir Figure 4 ci-après).
Crise de la Covid-19 : baisse historique mais temporaire des émissions de GES début 2020
Si la réduction des émissions de GES en France ne permet pas, ni globalement ni sectoriellement, de respecter la trajectoire vers la neutralité carbone en 2050, la crise sanitaire du Covid-19 a entraîné une baisse historique des émissions nationales, de l’ordre de - 13% sur janvier-mai 2020 (par rapport à la même période en 2019).
La baisse des activités humaines, en raison des mesures de confinement de la population à domicile et de la fermeture des lieux publics, a entraîné avant tout une baisse des émissions causées par les transports (68%), puis de l’industrie (18%), des bâtiments (9%) et de la transformation d’énergie (5%). Au plus haut du confinement, les émissions du secteur du bâtiment auraient baissé de 15%, et celles de la transformation d’énergie de 27%. (Voir Figure 5 ci-après)
Face à ce constat, le HCC considère que les changements de comportements observés pendant le confinement (développement du télétravail, des déplacements à vélo, etc.) représentent un « potentiel à consolider » par les politiques publiques territoriales dans le cadre de la transition bas-carbone de la France. En outre, cela souligne l’importance des choix stratégiques des plans de sortie de crise et de leur cohérence avec la SNBC, pour minimiser l’impact carbone de la relance et entraîner une dynamique favorable à la transition bas carbone dans les secteurs à fort enjeu.
« La rénovation énergétique des bâtiments : un secteur essentiel pour la transition, une opportunité pour l’économie et la santé »
Pour amplifier la baisse des émissions de GES, et, plus largement, lutter contre le changement climatique, le HCC préconise plusieurs « mesures de sortie de crise » compatibles avec les objectifs de neutralité carbone et intégrant les préoccupations en matière d’emplois et de santé publique.
Dans son rapport 2020, le HCC demande notamment d’agir « en priorité dans les mois et années à venir » dans le secteur du bâtiment, qui présente « des opportunités uniques de répondre au triple enjeu de reprise économique, de réduction des inégalités et de lutte contre le changement climatique ».
Viser la décarbonation complète du secteur d’ici à 2050 implique la mise en œuvre rapide d’actions portant sur l’efficacité énergétique du bâtiment, la sobriété des usages, le contenu carbone des sources d’énergie et des matériaux de construction, mais aussi les émissions indirectes liées au transport et à l’artificialisation des surfaces bâties.
A cette fin, le HCC formule quatre « propositions d’actions » concrètes pour accélérer la rénovation énergétique des bâtiments, qui représentent une opportunité en matière de créations d’emplois pérennes et d’amélioration de la santé et du confort en toute saison. Parmi ces propositions d’actions, le HCC propose notamment de :
1. Financer dans le plan de reprise les secteurs prêts à être mobilisés pour lever les nombreux blocages liés à la rénovation énergétique (faible capacité de financement des ménages, manque d’information, d’accompagnement et d’incitation, mesures inadaptées aux besoins de rénovation profonde, etc.), à l’origine du retard accumulé vers la transition bas carbone dans ce secteur.
Le HCC identifie trois secteurs pour accélérer le rythme de rénovations performantes:
- L’ habitat social (5 millions de logements pour environ 125 000 rénovations par an) notamment grâce à un fort soutien public, un recours important à la maîtrise d’œuvre et une filière structurée ;
- Le grand tertiaire privé (grandes entreprises, banques, chaînes d’hôtels, banques, etc.) qui prend en compte les critères énergétiques depuis de nombreuses années, et plus récemment les nouvelles obligations du décret tertiaire ;
- Les programmes de l’Anah (117 000 rénovations de logements avec le programme « Habiter mieux ») ; les auteurs soulignent par ailleurs l’importance de renforcer l’accessibilité des ménages au régime de subventions « MaPrimeRénov ».
2.Débloquer les systèmes relatifs au résidentiel privé et au tertiaire de l’Etat pour développer de l’ingénierie financière et de l’accompagnement pour la rénovation performante, structurer la filière pour répondre aux besoins de rénovation performante, et soutenir les acteurs locaux (régions et collectivités), dont le rôle est central à la massification de la rénovation énergétique.
Le HCC demande en particulier de :
- Soutenir les projets très performants pour pousser le marché de la rénovation vers le haut dans le résidentiel privé, en s’inspirant notamment des programmes proposant des offres intégrées développés à l’échelle locale, ou en mettant en place, comme en Allemagne, la progressivité de l’aide, corrélant le montant de l’aide avec le niveau de performance énergétique après travaux.
- Mettre en place des aides ciblées sur des rénovations de qualité avec un engagement de résultat, et développer un marché d’offre globale intégrant le conseil, le suivi, le financement, le contrôle et la formation.
- Mettre en place un dialogue entre la direction de l’immobilier de l’Etat (DIE) et les utilisateurs des locaux pour optimiser les surfaces, en ciblant les besoins des occupants, en particulier dans une perspective d’adaptation au télétravail, et planifier l’éradication du chauffage carboné du parc tertiaire.
3. Coordonner et aligner les objectifs climatiques et sociaux pour lutter contre la précarité énergétique des ménages (12 millions de Français), en prévoyant dans la Loi Energie Climat une « stratégie explicite » pour identifier les passoires thermiques occupées par les ménages précaires, puis assurer l’opérationnalisation des rénovations, avec l’accompagnement des propriétaires.
4. Aligner la politique de rénovation et de formation avec les objectifs énergétiques, pour développer une offre de rénovation globale, en travaillant notamment avec les régions pour mettre en place « des plans de formations massifs aux métiers du bâtiment de demain », et en prenant en compte le confort en toute saison « afin d’anticiper les demandes déjà croissantes de climatisation ». Il semble nécessaire également de clarifier le rôle et champ d’action des différentes échelles territoriales et d’augmenter leurs moyens en matière d’accompagnement à la rénovation énergétique. Enfin, le HCC demande l’élaboration d’une « feuille de route de la rénovation énergétique des bâtiments » précisant les objectifs dans chaque secteur du bâtiment, et les actions à mettre œuvre pour y répondre. Annexée à la PPE, celle-ci serait élaborée en concertation avec les acteurs et discutée au niveau du Conseil de défense écologique.
Le HCC appelle à une « transition juste » : « le climat doit devenir le cadre de référence de l’action publique »
Outre la rénovation énergétique des bâtiments, plusieurs secteurs figurent parmi les piliers à intégrer au plan de relance pour atténuer les effets de la crise post-Covid-19 selon le HCC.
Parmi les secteurs à privilégier pour un plan de sortie de crise à la fois vertueux sur le plan environnemental et vecteur d’activité économique, le HCC insiste sur :
Jugées « peu contraignantes », les premières dispositions gouvernementales en réponse à la crise ne vont pas dans le sens des recommandations du HCC. C’est la raison pour laquelle, il a souhaité dans son second rapport annuel porter une attention particulière aux enjeux de la « transition juste », et rappeler notamment l’importance de l’impact à moyen et long terme des décisions prises dans le plan de relance.
Les enjeux d’atténuation des émissions de gaz étant différenciés selon les régions, le HCC préconise une approche régionale pour accélérer la transition juste. Le HCC souligne en effet l’importance que représentent les régions, qui sont « les cheffes de file » dans la lutte contre le changement climatique, avec un pouvoir direct sur plusieurs leviers d’action en matière de stratégie bas carbone, et notamment dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l’agriculture.
Pour s’assurer d’une transition juste, le HCC conseille également de miser sur des processus de décision publique basés le plus possible sur la concertation. A ce titre, il souligne le travail des membres de la Convention citoyenne pour le climat et recommande au gouvernement de donner suite aux « nombreuses propositions d’envergure intégrant action pour le climat et justice sociale », tout en évaluant leur impact sur la réduction des émissions de carbone.
Enfin, le HCC appelle « à une redevabilité exemplaire de l’Etat », qui reste le garant de la mise en œuvre et de l’équité des politiques publiques climatiques.
Pour aller plus loin :
- Voir le rapport complet du HCC "Redresser le cap, relancer la transition"
- Voir le communiqué de presse
- Voir le résumé exécutif
- Publié le 28.11.2023 - Modifié le 29.11.2023
- Publié le 28.11.2023 - Modifié le 28.11.2023
- Publié le 28.11.2023 - Modifié le 28.11.2023
- Publié le 27.11.2023 - Modifié le 29.11.2023
- Publié le 27.11.2023 - Modifié le 29.11.2023
Donnez votre avis