« Pour que les femmes accèdent à tous les métiers de la culture »

Les femmes sont aujourd’hui majoritaires dans tous les secteurs de l’enseignement supérieur relevant du ministère de la Culture et l’insertion professionnelle est similaire pour les deux sexes.
Néanmoins, la répartition homme/femme parmi les actifs occupant une profession culturelle n’est pas égale puisque l’on y compte que 43% de femmes, celles –ci étant particulièrement peu présentes dans certains métiers, réputés encore très masculins (chefs d’orchestre, compositeurs, metteurs en scène, réalisateurs de cinéma…).
C’est pourquoi, le 30 mars dernier, le ministère de la Culture a réuni en séminaire les directeurs et directrices des 100 établissements d’enseignement supérieur artistique et culturel pour réfléchir, à partir notamment de témoignages, aux moyens de réduire les stéréotypes qui aujourd’hui encore limitent l’accès des femmes à certaines professions ainsi qu’aux leviers et bonnes pratiques pouvant y remédier.
Voici l’intervention de Catherine Jacquot invitée en qualité de grand témoin :
"Mesdames et messieurs,La profession d’architecte a longtemps été une profession - quasi -exclusivement masculine à quelques exceptions près ; on peut citer au XXième siècle : l’américaine Théodate Pope Riddle décédée en 1946, Charlotte Perriand, Lina Bo Bardi qui a récemment eu droit à une belle exposition au pavillon de l’Arsenal grâce à la Commissaire Noemi Blager architecte.
Je citerai également Denise Scott Brown, associée de Robert Venturi car son exemple est emblématique de nombreuses femmes associées à un homme, conjoint ou non qui ne sont pas considérées comme des architectes à part entière.
Son aventure est exemplaire :
Robert venturi a eu le Pritzker Price en 1991, mais pas Denise Scott Brown, après vingt années d’association au sein de leur agence. Une campagne de soutien à Denise Scott Brown a débuté après la publication d'un discours qu'elle avait adressé aux participant(e)s du Women in Architecture Award organisé par la revue Architect's Journal de Londres. Les femmes architectes devraient "avoir une conscience féministe", affirmait-elle. Ne pas avoir été honorée par le Pritzker Prize avait été pour elle "particulièrement triste", concluant, non sans ironie : "Saluons la notion de créativité commune".
1- En 2017 où en sommes nous ?
L’Ordre des architectes mène des études sur la démographie et l’économie de la profession depuis 2005. Et depuis 2014 nous consacrons une partie de l’étude à la situation des femmes dans la profession. La dernière étude de 2016, menée par le CREDOC : Archigraphie montre
Une féminisation continue de la profession
Les femmes représentent plus du quart des effectifs (27%) et cette part s’élève à près de la moitié chez les architectes âgées de moins de 34 ans (46,2%).
En 1982, l’année où j’ai prêté serment, les femmes représentaient 7,5 % des inscrits à l’ordre.
Nous constatons qu’il existe d’importantes disparités selon les régions ainsi les régions du nord est : Hauts de France, Grand Est, Bourgogne franche Comté comprennent seulement 23% de femmes parmi les inscrits, (sans que l’on s’explique réellement pourquoi…). C’est à l’ouest que la proportion est la plus élevée avec 30% et plus en nouvelle Aquitaine, en Bretagne et Normandies.
Les proportions varient selon les types d’activité des inscrites à l’ordre : Les associées et libérales représentent 25 et 26% des effectifs. (à ce jour, en France un quart des associés d’agence d’architecture sont des femmes).
La féminisation chez les femmes fonctionnaires est plus rapide (43% de femmes en 2015) : le double par rapport à 2000.
Les salariées représentent 40% des effectifs. Elles ont toujours été mieux représentées dans ce type d’activité que dans l’exercice libéral ou associé de société d’architecture.
Un fort écart entre le revenu (BNC) moyen des hommes et des femmes est constaté mais il se réduit chez les jeunes architectes. Le revenu moyen des femmes représente 57% du revenu moyen des hommes. (52 % en 2002) . C’est un écart considérable qui peut s’expliquer en partie par le travail partiel, par des activités différentes et par le fait que les femmes sont beaucoup plus jeunes que les hommes et donc ont moins d’expérience. Une femme architecte gagne en moyenne 26.924 euros alors qu’un homme gagne en moyenne 47.469 euros par an.
Le taux de féminisation du statut de salarié en agence d’architecture demeure stable depuis 2009 avec des différences de salaire : le salaire brut horaire des femmes est égal à 82% de celui des hommes.
La présence de plus en plus importante des étudiantes dans les Ecoles Nationales Supérieures d’Architecture va faire évoluer cette situation de façon importante.
2- Ce changement est accompagné par des évolutions législatives et réglementairesLa loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes vise à combattre les inégalités entre les femmes et les hommes.
Cette loi majeure portée par Laurence Rossignol, Ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes (à l’époque, Secrétaire d’Etat) instaure une batterie de mesures destinées à enfin faire rentrer dans les faits une égalité homme-femme qui restait bien souvent de l’ordre du discours.
L’égalité entre les femmes et les hommes reste encore une lutte de première importance : Il existe toujours dans notre société des inégalités persistantes: 18,8% d’écarts de salaires, 40% d’écarts de pensions, 26,9% de femmes députées.
La loi s’applique à la représentation professionnelle des architectes et nous l’avons mise en application dans le cadre de la réforme de l’institution engagée depuis deux ans, par la prise en compte de la parité dans les élections professionnelles : les listes de candidatures à l’échelon régional et national seront paritaires.
Je suis la première femme élue présidente du CNOA, j’ose penser que c’est un signe positif pour une entrée plus massive des femmes dans notre institution, actuellement sur 26 conseils régionaux de l’ordre, une femme est présidente les 25 autres conseils sont présidés par des hommes.
Deux éléments majeurs seront le signe de l’évolution et d’un renouveau bénéfique de la profession. Ils sont nécessaires à son développement : la place faite aux jeunes architectes et la place faite aux femmes. D’autant que les jeunes sont souvent des femmes.
Et plus largement, une plus grande place pour les femmes dans l’ensemble de la filière de la construction et de l’urbanisme, des femmes dans les entreprises du BTP changeraient certainement la perception qu’ont le public et les jeunes des métiers du bâtiment.
Les architectes interviennent et s’inscrivent dans une longue chaine de décision ; ainsi la féminisation des élus, des maitres d’ouvrage sont des facteurs importants d’évolution de l’accès des femmes architectes à la commande.
Le concours obligatoire a permis dans les années 80/ 90 un véritable essor de la jeune génération d’architectes et une architecture publique de qualité. Patrick Bloche dans son rapport d’information sur la création architecturale fait le constat assez sévère que 30 ans après sa mise en place, cette procédure ne permet plus aux jeunes architectes – ce sont majoritairement des femmes - d’accéder à la commande publique qui devient un domaine réservé où jeunes et femmes ont peu de place.
Je proposerai que soit mise en œuvre une nécessaire exemplarité de la commande publique pour l’accès des femmes à toutes les étapes des procédures de mise en concurrence et notamment dans la composition des jurys.
Les prix d’architecture pour les femmes, dans plusieurs pays d’Europe comme en France, sont des vecteurs de promotion. Ils permettent de sortir de l’anonymat des femmes architectes dont le talent est indiscutable mais qui resteraient souvent dans l’anonymat sans ces prix. Le prix ARVHA en France a récompensé Véronique Joffre en 2016 et Corinne Vezzoni en 2015. Je citerai tout spécialement un prix international : l’Arc vision Prize, Women and Architecture, Prix international de grande renommée, disposant de moyens importants dont c’est la quatrième édition, il a en 2016, sélectionné 90 femmes architectes du monde entier.
Le jury de ce prix est composé de femmes architectes mais aussi de femmes venues d’horizons divers et remarquables dans leur domaine comme l’indienne Suhasini Mani Ratnam, actrice, ou Shaika Al Maskari, femme d’affaire des émirats arabes unis. Cette année, c’est Jennifer Siegal (LA/USA ) qui a eu le prix et parmi d’autres nominées, je citerai Basma Abdallah Uraiqat, qui a été nominée pour un projet de mosquée en Jordanie. Au-delà du fait qu’un beau projet fait par une femme architecte soit récompensé, cela est signifiant aussi, sur la place des femmes dans la société.
Tant que subsistent des préjugés, il est utile que la promotion du talent des femmes soit servie et organisée par les femmes elles-mêmes.
3- Les mutations de la société et les transformations culturelles et économiques de notre profession.
Alors que la crise écologique et climatique, l’accélération de l’urbanisation, la diminution des surfaces de terres naturelles qui produiront des migrations de grande ampleur, les nécessaires économies de l’énergie, la limitation de l’émission des gaz à effets de serre demandent une coopération internationale accrue et qui s’est notamment manifestée dans la signature de l’accord de la COP 21,
Alors que l’économie et la communication se mondialise sous la pression de la puissance numérique,
Des forces contraires conduisent au repli sur soi, à la montée des extrémismes, à l’obscurantisme, et certainement la place des femmes dans la société et dans la culture est un enjeu et la dégradation de leur rôle, une conséquence de ces forces adverses. Des questions cruciales sur les développements inégalitaires des territoires, sur le mal logement, sur la précarité énergétique et la raréfaction de l’eau, sur les migrations que le changement climatique induit, se répercute aussi sur notre pays avec des réactions discriminantes que l’on croyait reléguées à des époques révolues.
La place des femmes ne s’isole pas du contexte social et l’accès des femmes aux mêmes fonctions que les hommes, la reconnaissance publique de leurs talents et de leur travail va de pair avec la justice sociale, l’ouverture de l’esprit, le recul de l’ignorance, le développement de la culture. Et en retour une culture où les femmes ont toute leur place est le signe de sa portée universelle, de son ouverture au monde.
Si Zaha Hadid dit que « ce n'est pas tant le racisme que le fait d'être une femme en Grande-Bretagne qui a longtemps fait obstacle », l’émergence de grands noms féminins (Kazuyo Sejima, Itsuko Hasegawa, les Irlandaises Yvonne Farrell et Shelley McNamara, agence Grafton architects, premières femmes commissaires de la biennale de Venise, Karin Smuts en Afrique du sud, en France, Myrto Vitart, grand prix national d’architecture avec Jean-Marc Ibos) nous montre que la situation évolue.
Je voudrais aussi citer Renée Gailhoustet, Edith Girard et Françoise Hélène Jourda, qui ont montré en France, à deux générations, l’engagement des femmes architectes. Sur tout le territoire, lors des rencontres sur la loi LCAP depuis une année, je rencontre de nombreuses agences qui, dirigées par des femmes de talent, s’engagent pour une architecture vernaculaire, expérimentale et signent la fin d’une discrimination au profit de toutes les différences.
Enfin je crois en l’action collective et délibérée en faveur des femmes. Nous avons besoin que les femmes prennent leurs talents en main, constituent des réseaux non pour exclure, mais pour être fortes, pour créer des alliances. La culture d’une moitié de l’humanité ne demande qu’à s’exprimer pour peu qu’une oppression souvent intériorisée, le plus souvent atavique et sociale cesse."
Catherine Jacquot
Présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes
30 Mars 2017
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