Les architectes allemands perdent leur barème d’Etat

Le 4 juillet dernier, la Cour européenne de justice a jugé que le maintien du barème obligatoire pour "les prestations des architectes et des ingénieurs" (HOAI) constituait une violation des dispositions fixées par la directive "services".
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Le 4 juillet dernier, la Cour européenne de justice a jugé, dans l’affaire opposant la République fédérale d’Allemagne à la Commission européenne, que le maintien de barèmes obligatoires pour « les prestations des architectes et des ingénieurs, constituait une violation des dispositions fixées par la directive «services ».

C’est la fin des barèmes obligatoires pour les architectes et ingénieurs allemands ; leurs honoraires devront désormais être convenus librement.

Ce résultat était attendu car, on le sait, depuis des années, la Commission tient le même discours : les barèmes sont une barrière à la libre circulation dans un secteur, celui des services professionnels, qu’elle considère comme un moteur essentiel de la compétitivité. Elle avait fin 2013, néanmoins noté que la plupart des Etats membres ne fixaient pas de barèmes ou les avaient abolis en transposant la directive « services ». Une seule exception, les barèmes allemands fixés par l’Etat et considérés par ce dernier, comme indispensables pour l’exécution d’un contrat.

Derniers des mohicans, les architectes allemands, étaient donc jusqu’ici, les seuls à disposer encore d’un barème d’honoraires (HOAI) institué par l’Etat fédéral pour leurs missions de conception et de réalisation en marchés publics et privés.

Créé par ordonnance, le HOAI allemand a été révisé en 2013 par le Parlement et assoupli. Il ne concerne plus désormais que les architectes et ingénieurs ayant leur siège en Allemagne. Il prévoit également que les montants minimum peuvent être abaissés dans des cas exceptionnels par convention écrite ; de même les montants maximum peuvent être dépassés en cas de prestations extraordinaires ou d’une durée inhabituellement longue moyennant accord écrit.

Pour la Commission européenne, ce dispositif constitue une entrave aux dispositions de la directive 2006/123 « services » qui dispose en son article 15 que les « tarifs obligatoires  minimum et/ou maximum » font partie des exigences que les Etats se doivent d’évaluer afin de vérifier si elles sont non discriminatoires, nécessaires (justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général) et répondent au principe communautaire de proportionnalité, c’est-à-dire sont propres à garantir l’objectif poursuivi et ne peuvent être remplacées par d’autres mesures moins contraignantes.

C’est dans ce contexte que la Commission a, en juin 2015, attiré l’attention des autorités allemandes sur une possible violation par le HOAI des dispositions dudit article 15. Le gouvernement allemand a réfuté cette allégation, estimant dans sa réponse de septembre 2015 que le HOAI était justifié des raisons impérieuses d’intérêt général. Les échanges entre les deux parties se sont poursuivis en 2016, sans convaincre la Commission qui a introduit un recours à l’encontre de l’Etat allemand le 23 juin 2017.

Deux visions totalement opposées
our la Commission européenne, le HOAI gêne l’entrée de nouveaux prestataires de services des autres Etats membres dans la mesure où il les empêche « en tant que prestataires pour qui il est plus difficile d’attirer des clients, d’offrir leurs services à des prix inférieurs à ceux prévus par les tarifs minimaux pour les prestataires établis en Allemagne ou d’offrir des services de plus grande valeur à des prix supérieurs aux tarifs minimaux ». Elle estime en outre que « même si la densité du marché allemand des services architecturaux est très élevée, ce fait n’a aucune incidence sur l’existence de restrictions à la liberté d’établissement ».

Par ailleurs, précise la Commission, le gouvernement allemand ne démontre ni l’existence d’une corrélation entre les prix des services et leur qualité, ni en quoi ces règles tarifaires protègent le consommateur dès lors que ces règles ne les informent pas du caractère approprié des prix proposés pas plus qu’elles ne les mettent en mesure de vérifier les montants pratiqués.

Pour le gouvernement allemand, au contraire, le HOAI est tout d’abord  un dispositif flexible qui prévoit plusieurs possibilités de s’en écarter. Il ne  concerne ensuite que les prestations de base pour lesquelles la garantie d’un standard de qualité répond à un objectif d’intérêt général, à savoir « la garantie de la qualité des prestations, la protection des consommateurs, la sécurité architecturale, la préservation de la culture architecturale et la construction écologique ».

En outre, pour répondre aux allégations  de la Commission, le gouvernement allemand fait valoir que la structure du marché allemand qui se fonde sur des PME a pour effet de « garantir un nombre élevé de prestataires et de contribuer à une concurrence favorisant une meilleure qualité ». L’absence de barème pourrait comporter des risques car le consommateur mal informé ne serait plus à même de percevoir les différences de qualité et opterait de manière systématique pour l’offre la moins chère, de sorte que la concurrence ne serait plus fondée que sur les prix.

L’appréciation de la Cour
Au final, la Cour va décider qu’en maintenant des tarifs obligatoires pour les missions des architectes et ingénieurs, la République d’Allemagne a contrevenu aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive « services ».

La Cour va estimer que les barèmes allemands, faisant partie des exigences à évaluer, peuvent être mis en place par un Etat membre si ce dernier est en mesure de justifier qu’ils répondent à une raison impérieuse d’intérêt général. En l’occurrence, après avoir analysé les arguments développés par le gouvernement allemand, elle va d’ailleurs considérer que l’existence de barème peut être « en principe de nature, au regard des caractéristiques du marché allemand, à contribuer à garantir un niveau de qualité élevé des prestations ».

Mais pour cela, va ajouter la Cour, la législation nationale doit être cohérente avec l’objectif de qualité recherché ; or en Allemagne, les missions de conception et réalisation remplies par les architectes et les ingénieurs peuvent être remplies par d’autres prestataires non soumis aux mêmes réglementations professionnelles et donc au barème.

La position défendue par le gouvernement et consistant à marteler que le HOAI garantit un niveau élevé des prestations et protège ainsi le consommateur, se trouve de fait, souligne la Cour, considérablement fragilisée car en totale contradiction avec l’objectif poursuivi. Partant de là, et reprenant à son compte un argument de la Commission et de l’avocat général selon lequel, le gouvernement allemand n’a pas démontré qu’il était impossible de remplacer les barèmes par d’autres mesures moins contraignantes mais conduisant au même résultat, la Cour va conclure à la violation par la République fédérale d’Allemagne du droit de l’Union européenne.

S’agissant d’un arrêt de la Cour européenne de justice, l’Allemagne ne peut que s’exécuter et prendre les mesures nécessaires.

"Cette décision représente un changement important pour notre profession et les clients. Les honoraires calculés scientifiquement ne seront plus contraignants à l'avenir et nous devrons négocier le prix ainsi que la performance et la qualité", a déclaré Barbara Ettinger-Brinckmann, Présidente de la Chambre fédérale des architectes.

Publié le 30.08.2019 - Modifié le 04.09.2019
2 commentaires

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Bonjour

Je pense que cette décision quelque soit les défauts du système de calcul HOAI est une entrave de plus pour les architectes.

Ce système garantissait un minimum de décence pour notre profession et par-là maintenait des limites à la "prostitution" des architectes qui se sous vendent pour avoir un contrat et travaillent ainsi à perte ou encore son soumis à la tentation de toucher des commissions" plus ou moins autorisées pour pouvoir survivre.

De plus en se référent à ce type de barème, le client comme l’architecte définissent le niveau, la qualité de la mission, ce qui est une aide par la suite, comme par exemple dans la rédaction du contrat chacun peut se référencer à l’HOAI et donc chacun sait de quoi il est question et ce qui doit être fait et payé…

L’architecte n’a pas besoins de se justifier puisque tout est prédéfini.

Nous, architecte professionnels qualifiés du bâtiment, avons des devoirs et des responsabilités importantes pouvant avoir de graves conséquences, nos honoraires nous sont dus en conséquence, il faut refuser de les brader.

Beaucoup de maîtres d'ouvrage font jouer la concurrence non pas sur le plan de la qualité mais sur celui du prix des prestations et cela doit être dénoncé.

Pour moi tous les architectes européens doivent se solidariser afin d'obtenir une réglementation sur le montant, calcul des honoraires et qualité des prestations : pourquoi ne pas utiliser le système de l'HOAI comme base de travail.

Personne ne discute les honoraires d’un avocat, notaire qui ont des tarifs réglementés mais l’architecte lui se voit toujours spolié de la rémunération à la hauteur de son travail.

Par là nous serions protégés.

 

De plus il y a des professions libérales qui ont des honoraires soumis à une réglementation comme le commissaire aux Comptes dont les honoraires sont réglementés par décret et par le Code de Déontologie de la profession.

 

Pourquoi pas nous ???

Les architectes allemands ne sont pas les derniers mohicans.

En France, les conditions de rémunération des architectes en chefs des Monuments Historiques sont définies par l'arrêté du 1er février 2011. Le lien suivant permet de s'en assurer.

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000023561027&categorieLien=id

Pourquoi les autres architectes ne bénéficieraient-ils pas de conditions similaires?

 

 

(Bundesarchitektenkammer)
HOAI