Favoriser l’innovation : le permis d’expérimenter est né

Depuis le 13 mars 2019, les maîtres d’ouvrage peuvent déroger à une liste de normes de construction sous réserve d'apporter la preuve que la solution qu'ils proposent parvient à des résultats équivalents et présente un caractère innovant. Tout ce qu'il faut savoir sur la mise en oeuvre de ce permis.
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Depuis le 13 mars 2019, les maîtres d’ouvrages, publics ou privés, peuvent, pour leurs opérations de construction de bâtiments nécessitant une autorisation d’urbanisme, déroger à une liste de normes de constructions et mettre en œuvre une solution d’effet équivalent, sous réserve qu’ils apportent la preuve que cette solution parvient à des résultats équivalents à ceux visés par lesdites normes et que les moyens mis en œuvre présentent un caractère innovant.

Le caractère équivalent de la solution proposée par le maître d’ouvrage doit être attesté par un organisme tiers, indépendant de l’opération.

L’ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre visant à faciliter la réalisation de projets de construction et favoriser l’innovation avait déjà assez largement cadré le mécanisme. Les modalités selon lesquelles il est possible de déroger à certaines règles de construction sont désormais connues. Le décret n° 2019-184 du 11 mars 2019, dit décret « permis d’expérimenter », paru au Journal officiel du 12 mars 2019, apporte les dernières précisions manquant aux maîtres d’ouvrage pour pouvoir utiliser ce nouveau dispositif. Il affine la liste des règles de constructions concernées, précise la notion de solution de résultat équivalent, décrit la procédure à suivre par les maîtres d’ouvrage et désigne les organismes compétents pour attester de l’équivalence de résultat.

Champ d’application
Le champ d’application du permis d’expérimenter est très vaste.

Il concerne tout maître d’ouvrage, public ou privé, menant une « opération de construction de bâtiment » ou « des travaux qui, par leur nature et leur ampleur, sont équivalents à une telle opération ». Les projets visés sont ceux nécessitant une autorisation d’urbanisme (permis de construire, permis d’aménager ou déclaration préalable) ou une autorisation spécifique aux établissements recevant du public ou aux monuments historiques (article 1 et 2 de l’ordonnance).

Règles de constructions pour lesquelles une solution d’effet équivalent peut être proposée par le maître d’ouvrage
Les normes de constructions auxquelles il pourra être dérogé est également très large (article 3 de l’ordonnance).

Neufs secteurs sont concernés :
1° La sécurité et la protection contre l'incendie, pour les bâtiments d'habitation et les établissements recevant des travailleurs, en ce qui concerne la résistance au feu et le désenfumage ;
2° L'aération ;
3° L'accessibilité du cadre bâti ;
4° La performance énergétique et environnementale et les caractéristiques énergétiques et environnementales ;
5° Les caractéristiques acoustiques ;
6° La construction à proximité de forêts ;
7° La protection contre les insectes xylophages ;
8° La prévention du risque sismique ou cyclonique ;
9° Les matériaux et leur réemploi.

Pour chaque série de normes, le décret donne les références des règles et les types de bâtiment concernés par l’autorisation de dérogation en apportant certaines précisions ou restrictions. Par exemple, s’agissant de l’aération et de l’acoustique, seules les normes applicables dans les logements peuvent faire l’objet de dérogation. Les dérogations aux règles d’accessibilité du cadre bâti, peuvent être demandées dans le cadre d’une opération de construction de bâtiments d’habitation collectifs, d’établissements recevant du public et d’établissements destinés à recevoir des travailleurs.

Mise en œuvre de la solution d’effet équivalent
Pour pouvoir déroger à certaines règles de construction et bénéficier d’un permis d’expérimenter, le maître d’ouvrage doit apporter « la preuve qu’il parvient, par les moyens qu'il entend mettre en œuvre, à des résultats équivalents à ceux découlant de l'application des règles auxquelles il est dérogé et que ces moyens présentent un caractère innovant, d'un point de vue technique ou architectural » (article 1er de l’ordonnance).

Selon l’article 1er du décret, sont réputés comme innovants « des moyens qui ne sont pas pris en compte dans les règles de construction en vigueur ».

Objectifs à atteindre par la solution innovante
L’équivalence entre le moyen innovant proposé par le maître d'ouvrage et l'obligation imposée par la règle de construction sera vérifiée si celui-ci apporte la preuve que sa solution permet d'atteindre les mêmes performances ou résultats et de respecter les mêmes objectifs que ceux assignés à cette obligation.

Si aucune performance attendue, aucun résultat ou aucun objectif à atteindre n'ont été définis par la règle de droit commun, l'équivalence sera alors vérifiée au regard des objectifs généraux prévus dans chacun des neuf secteurs éligibles au permis d’expérimenter.

Quelques exemples

Secteur de construction

 

Objectif général à atteindre par la solution innovante

Sécurité incendie

Les bâtiments d'habitation et les établissements destinés à recevoir des travailleurs sont conçus et construits pour que, lors d'un incendie, la stabilité des éléments porteurs de l'ouvrage puisse être assurée pendant une durée déterminée et suffisante pour permettre aux occupants de quitter indemnes le bâtiment. La conception du bâtiment et le désenfumage permettent de limiter l'éclosion, le développement et la propagation d'un incendie à l'intérieur de celui-ci ainsi que par l'extérieur et de faciliter l'intervention des secours.

Accessibilité du cadre bâti

Les maîtres d'ouvrage doivent s'assurer que les dispositions architecturales, les aménagements et les équipements, intérieurs et extérieurs, des locaux d'habitation, des établissements recevant du public et des établissements destinés à recevoir des travailleurs sont tels que ces locaux et installations permettent un usage normal et sont accessibles à tous, notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap, physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique

Performance énergétique et environnementale

Les bâtiments ainsi que leurs installations de chauffage, de refroidissement, de production d'eau chaude sanitaire, d'éclairage et d'aération sont conçus et construits de manière à ce que la consommation d'énergie requise pour une utilisation normale reste la plus basse possible. Ils doivent assurer à leurs occupants des conditions de confort suffisantes et des conditions de santé à un niveau équivalent à celui que permettent d'atteindre les règles de droit commun

 

Formalités pour être autorisé à recourir à une solution innovante
Les maîtres d’ouvrage qui souhaitent déroger aux règles de construction, doivent, en amont de leur demande d’autorisation d’urbanisme, soumettre leurs projets à des organismes tiers, indépendants de l’opération, qui doivent attester du caractère équivalent des résultats obtenus par les moyens qu’ils entendent mettre en œuvre, ainsi que de leur caractère innovant.


Les organismes tiers indépendants compétents
Le décret du 11 mars 2019 désigne les organismes compétents par domaine de construction.

Quelques exemples

Secteur de construction

Organismes compétents pour délivrer l’attestation d’effet équivalent

Sécurité incendie

Les laboratoires agréés ou les organismes reconnus compétents par le ministre de l'intérieur, en application des dispositions prévues à l'article DF4 de l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public et à l'article 15 de l'arrêté du 22 mars 2004 relatif à la résistance au feu des produits, éléments de construction et d'ouvrages

Aération / Accessibilité du cadre bâti / Performance énergétique et environnementale / Acoustique / Gestion des matériaux et de leur réemploi

- Soit les contrôleurs techniques agréés, dans le domaine concerné par la solution d'effet équivalent ;
- Soit le CSTB ou le CEREMA
- Soit les organismes détenteurs d'un certificat de qualification avec le plus haut niveau possible de compétence dans le domaine de la maîtrise d'œuvre et spécifiquement dans le domaine concerné par la solution d'effet équivalent, délivré, selon les exigences générales relatives aux organismes de qualification, par un organisme accrédité par le Comité français d'accréditation (COFRAC) ou par tout autre organisme d'accréditation signataire de l'accord multilatéral pris dans le cadre de la coordination européenne des organismes d'accréditation.

 

Ces organismes agissent avec impartialité et n'ont aucun lien, pour l'opération en cause, avec le maître d'ouvrage, les constructeurs ou le contrôleur technique, qui soit de nature à porter atteinte à leur indépendance.
Ils sont couverts par une assurance au titre de leur activité.

Contenu du dossier de demande d’attestation d’effet équivalent
Le maître d’ouvrage transmet à l’organisme indépendant délivrant l’attestation d’effet équivalent un dossier suffisamment complet pour lui permettre de vérifier l’équivalence. En retour, s’il confirme l’analyse fournie par le maître d’ouvrage, cet organisme lui délivrera alors une attestation.

Le dossier comporte :

> Au titre des pièces relatives à la description du projet de construction
- Un plan détaillé du site d'implantation du projet de construction ;
- La justification du caractère innovant de la solution proposée ;
- La liste des compétences et qualifications que devront avoir l'ensemble des constructeurs, intervenant au cours de l'opération dans le domaine concerné par la solution d'effet équivalent et la liste des missions qui leur sont confiée

> Au titre des pièces relatives aux conditions de réalisation du projet de construction
- Les règles de construction de droit commun pour lesquelles une solution d'effet équivalent est proposée ;
- Les objectifs et résultats assignés à ces règles de construction ;
- La démonstration que la solution proposée ne porte pas atteinte au respect des autres dispositions applicables à l'opération, notamment celles relatives à la santé et à la sécurité ;
- Une présentation des moyens ou des dispositifs constructifs envisagés ;
- La preuve que ces moyens ou dispositifs permettent d'atteindre les objectifs assignés aux règles de droit commun
- Une attestation sur l'honneur du maître d'ouvrage de s'engager à souscrire une assurance dommage, conformément aux dispositions de l'article L. 111-30 du code de la construction et de l'habitation ;

> Au titre des pièces relatives au contrôle de la bonne mise en œuvre de la solution d'effet équivalent
- Le protocole décrivant les modalités permettant de contrôler, au cours de l'exécution des travaux, que les moyens mis en œuvre sont conformes à ceux décrits dans la présentation mentionnée ci-dessus
- Le cas échéant, les consignes d'exploitation et de maintenance ;

> Tout autre document complémentaire que le maître d'ouvrage estime nécessaire de produire pour la bonne compréhension de la solution qu'il propose.

Validation de la demande d’attestation d’effet équivalent
L'organisme compétent se prononce sur la validité de la solution d'effet équivalent au vu des preuves fournies par le maître d'ouvrage.
Il évalue l'impact de la solution d'effet équivalent sur les autres dispositions applicables à l'opération et produit un rapport d'analyse comparative.
S'il valide la solution et les dispositions prévues, il joint l'attestation d'effet équivalent à son rapport d'analyse comparative et les transmet au maître d'ouvrage.

Contenu de l’attestation d’effet équivalent
Elle contient au moins :
- La liste des règles de construction de droit commun pour lesquelles une solution d'effet équivalent est proposée et des objectifs qui leur sont assignés
- Une présentation sommaire de la solution d'effet équivalent proposée et de son caractère innovant
- La mention des conditions de mise en œuvre de la solution d'effet équivalent préalablement définies par le maître d'ouvrage
- La validation du protocole de contrôle, au cours de l'exécution des travaux, de l'atteinte des résultats attendus
- Le cas échéant, les conditions de contrôle périodique et d'exploitation de la solution d'effet équivalent
- L'attestation de l'assurance couvrant l'activité de délivrance de l'attestation d'effet équivalent de l'organisme.

Cette attestation est établie au moyen d'un formulaire électronique normalisé disponible sur une application mise à la disposition de l'organisme (https://www.demarches-simplifiees.fr/), qui lui permet de joindre l'attestation au dossier de la demande d'autorisation d'urbanisme, déposée par le maître d'ouvrage.
Elle est conservée par le maître d'ouvrage pendant une période de dix ans suivant la date de réception des travaux.

Le contrôle de la bonne mise en œuvre de la solution d’effet équivalent
Pour tous les projets, l’intervention d’un contrôleur technique est prévue pour vérifier, au cours d’exécution des travaux, « la bonne mise en œuvre des moyens utilisés par le maître d’ouvrage ». Il en atteste au moment de l’achèvement des travaux.

En cas de dérapage, l’administration s’opposera à la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux – ou, selon les cas, refusera de délivrer l’autorisation d’ouverture de l’ERP ou l’attestation de conformité des travaux au titre du Code du patrimoine.

Récapitulatif des étapes à suivre pour mettre en œuvre une solution d’effet équivalent
1- Le maître d’ouvrage trouve un organisme indépendant qui lui délivrera l’attestation
2- Le maître d’ouvrage fournit son dossier de demande à l’organisme indépendant
3- L’organisme indépendant analyse le dossier, et s’il valide la solution, il produit l’attestation d’effet équivalent grâce au site www.démarches-simplifiées.fr et la fournit au maître d’ouvrage
4- Le maître d’ouvrage joint l’attestation à sa demande d’autorisation d’urbanisme
5- Le maître d’ouvrage trouve un contrôleur technique, si son opération n’en requiert pas déjà un ou s’il souhaite avoir un contrôleur spécifique à cette mission
6- Le contrôleur technique vérifie, au cours de l’exécution des travaux, que la mise en œuvre de la solution est conforme aux règles énoncées dans le dossier de demande d’attestation, validées et rappelées par l’attestation. Il délivre à la fin des travaux une attestation de bonne mise en œuvre de la solution d’effet équivalent.


Pour en savoir plus
- Ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre 2018 visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l'innovation 
- Décret n° 2019-184 du 11 mars 2019 relatif aux conditions d'application de l'ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre 2018 visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l'innovation 

Publié le 26.03.2019 - Modifié le 27.03.2019
1 commentaire

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Quelle simplification complexifiante ! Je pense qu'on perdra moins de temps à rentrer dans les clous normatifs qu'à en sortir...

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Residence étudiants C22B à Palaiseau - Canal Architecture - Canal Architecture Huit fait partie des 8 lauréats retenus pour tester le "permis d'innover" et propose de concevoir des bâtiments réversibles en termes d'usages, dans le cadre d'un permis de construire évolutif.